(pour vous aider à les imaginer tels que je les vois ) Voilà plus d’une heure que la neige tombait sur les toits de Paris en cette nuit d’hiver. Dès le lendemain la pollution, les passants, la rendraient gris, sale, mais pour l’instant elle offrait aux rares piétons déambulant dans les rues un tapis immaculé.
Deux amoureux se promenaient sur les bords de la Seine, étrangers aux lumières nocturnes et aux bruits de klaxons. Lovés l’un contre l’autre, marchant lentement, ils attiraient tous les regards. Lui était l’archétype du prince charmant, un bel homme aux épaules larges, à la silhouette haute et bien découplée, aux gestes souples, félins. Il avait l’air d’un poète, d’un rêveur, d’un romantique égaré. Ses cheveux mi longs étaient retenus par un catogan, alors que la couleur noire de ceux ci accentuaient le contraste avec sa peau pâle et dévoilaient toute la finesse de ce beau visage masculin. Ses yeux verts, surtout, étaient fascinants, mais les iris profondes n’avaient d’attention que pour elle.
Elle, justement, bien que fine et élancée, semblait toute petite perdue dans ses bras. Elle portait un long manteau noir cintré jusqu’à sa taille flexible puis qui partait en s’évasant jusqu’à ses chevilles… Donnant l’impression qu’elle venait d’une autre époque. Une écharpe rouge, chatoyante, entourait son cou, sans pour autant arriver à retenir la luxuriante cascade de boucles noires indociles qui tombaient jusqu’au milieu de son dos. Elle riait souvent, arrachant des sourires emplis d’amour à son taciturne compagnon, alors que ses yeux aussi brillants que des émeraudes se constellaient de paillettes dorées. Mêmes ses joues pâlies sans doute par le froid se coloraient parfois.
Puis arriva le moment où ils se séparèrent.
Comme tous les amoureux du monde ils s’embrassèrent et pendant de longues minutes il n’y eu plus rien au monde que cet homme et cette femme qui vibraient l’un pour l’autre. Puis, gracieuse et rapide, elle s’échappa de la tendre étreinte et traversa la chaussée alors que lui poursuivait sa promenade, solitaire à présent.
Bientôt, la jeune femme quitta les rues bien éclairées de la capitale pour s’engouffrer dans une sombre ruelle qui puait l’alcool, la saleté, la mort. Même la neige ne pouvait assainir l’endroit et il semblait inconcevable que cette jeune femme eu affaire ici. Tout parlait contre elle : Sa jeunesse, sa beauté, sa richesse, l’éclat frondeur matinée d’un brin d’arrogance qui brillait au fond de ses prunelles. Même le parfum Chanel N°22 qui l’entourait, s’exhalant de sa chevelure sombre comme si il faisait parti de son être la mettait en danger car il révélait sa présence aux ombres tapies dans le noir.
Soit cette beauté brune était inconsciente, soit son courage n’avait pas de borne. En effet, elle continuait à avancer sans marquer la moindre peur dans la neige à présent vierge de toute emprunte. Légère, elle semblait effleurer le sol de son pas silencieux et rapide, donnant l’impression qu’elle était la reine des neiges, où encore une ange de la mort venu délivrer les pauvres âmes fatiguées de vivre.
Comment aurait elle pu savoir qu’elle était épiée ? Deux yeux noirs, malsains, dont le blanc s’était terni jusqu’à tourner au jaunâtre n’avaient eu de cesse de la suivre depuis qu’elle était entrée dans son champ de vision. Un couteau apparu dans la main de brute, et l’éclat de la lame d’acier brilla un instant avant de se fondre dans l’obscurité.
John Bridulot avait 43 ans. Il avait passé sa vie à voler pour vivre, à tuer parfois, à être violent toujours. Mais, depuis quelques mois un nouveau jeu occupait ses nuits. Il suivait les femmes qui lui plaisaient, puis les assassinait sauvagement. Un boucher comme il en nait parfois dans les grandes villes, rendu fou par la société qui l’entourait.
Ce soir, il avait trouvé une nouvelle proie, sans même avoir à se déplacer. Le ciel devait être avec lui, cette nuit là, car la jeune femme était la plus belle qu’il eu jamais vu. Il ne pouvait détacher son attention des boucles vaporeuses qui auréolaient le visage ciselé à la perfection et cette allure d’ange égaré lui donna presque envie de renoncer à son noir projet.
Mais la gracieuse inconnue, inconsciente, sourit alors, et le désir de prendre sa vie revint anéantir toute autre idée. Comme pour répondre à ses vœux elle s’arrêta à dix pas de l’unique néon de la ruelle et leva les yeux au ciel. Des flocons neigeux tombaient sur les épaules de son manteau, sur sa chevelure noir, sur son visage. Rendue heureuse par ce simple fait, son sourire s’accentua, la rendant lumineuse de beauté.
Alors John attaqua. Sortant du recoin sordide où il se terrait, il fondit sur sa proie son couteau au clair. Rien ne pu la prévenir, car la neige traîtresse assourdissait jusqu’au bruit des pas de l’agresseur. En trois secondes à peine il fut sur elle, et la douce fragrance du parfum de la jeune femme fut noyée par l’odeur nauséabonde de ce corps trop peu souvent lavé.
L’écharpe rouge de l’étonnante inconnue tomba par terre, faisant comme une traînée de sang pourpre sur la blancheur immaculée du sol.
La mort, grande faucheuse aveugle qui ne se soucie ni de l’âge ni de l’envie de vivre de ses victimes, allait frapper ce soir encore dans la ruelle des Catalins.
Déjà un cœur s’affolait et des pupilles se contractaient sous l’emprise de la terreur. Une âme savait à présent qu’elle vivait ses dernières secondes, et que rien ni personne ne pourrait la sauver.