Il y a aujourd’hui vingt jours, j’étais seule dans le bureau d’une jeune femme médecin que je ne connaissais pas. Il y a vingt jours aujourd’hui, je recevais comme un coup de pelle en pleine face, un diagnostic qui sonnait comme un gouffre : cancer. II y a vingt jours aujourd’hui, je revenais seule à la maison, quarante-cinq minutes de route sous la pluie intense, à me concentrer pour oublier ce pourquoi je perdais le souffle, ce pourquoi mes joues étaient baignées de larmes. Il y a vingt jours aujourd’hui, je ne voyais l’avenir qu’à travers des voiles d’incertitude, de peurs et de douleurs physiques et morales. Je me sentais trahie par mon propre corps alors que je ne me sentais même pas malade. Je dégainais mon épée devant l’ennemi, prête à me battre mais redoutant le combat.
l y a dix-huit jours aujourd’hui, avec mon conjoint, un autre médecin me rassurait : truc facile à traiter, très bon pronostic, chirurgie d’un jour et traitements par la suite. Le soleil est revenu, je me suis renseignée, j’ai repris mon souffle et j’ai enfin pu en parler à ma famille, à mes parents.
Il y a dix jours aujourd’hui, on me retirait le « machin-truc » défectueux. Je me réveillais seule dans une chambre trop grande, un peu perdue et pourtant rassurée : plus d’incertitudes, pas trop de douleur.
Il y a six jours aujourd’hui, je retournais au boulot, sommes toutes assez solide. Je rengainais mon épée. Mais je regarderai toujours par-dessus mon épaule. Car maintenant je connais le visage de l’ennemi et je me tiendrai sur mes gardes. La vie ne sera plus jamais la même.
Et aujourd’hui, belle journée d’été (presque), je respire, je savoure et je regarde en avant, fragile et plus forte… un peu.
Voilà la mise en contexte de ce petit texte que je vous livre. Il n’a sa place dans aucune des rubriques du forum alors je l’ai posté ici.
Bulles
Nous sommes des voyageurs.
Isolés dans une bulle fragile, nous voguons, poussés par des vents contraires. Quelquefois, moments fugitifs, nous pensons contrôler notre fragile vaisseau en visant tel ou tel port à rejoindre. Et quelquefois, nous réussissons. Mais la plupart du temps, notre bulle se heurte ou part à la dérive et nous réalisons que notre contrôle n’était qu’illusoire.
À travers les parois translucides, nous entrevoyons d’autres bulles, nous les touchons du doigt, nous respirons un court instant le même air, nous nous aimons.
Crever la bulle pour se toucher vraiment, pour s’embrasser du regard et de la bouche, pour exister à deux ou à plusieurs. Danger potentiel de se perdre soi-même et pourtant pulsion profonde, héritée de notre fragile passé d’amibes intelligentes.
Et puis la bulle nous rattrape comme un refuge familier, nous emportant au loin une fois de plus, à la merci des courants sauvages de l’existence. Éphémère passage que le nôtre.
Alors savourer, glisser chaque instant, heureux ou malheureux comme un bijou précieux dans une escarcelle qu’on porte près du cœur.
Avant de ne plus être qu’un peu de brume au vent, qu’un chant oublié ou qu’une goutte de rosée brillant au soleil du matin, souvenir fugace de la bulle fragile d’une vie… d’une vie.