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Oscar1965 L'ombre et la lumière de l'amour
Age : 58 Nombre de messages : 979 Date d'inscription : 17/04/2014
| Sujet: Le sentier Mar 15 Sep 2015 - 22:45 | |
| Univers de Goldorak. Ceci est une histoire très courte. Elle se déroule un an ou deux avant les événements du DA. La trame de départ est basée sur des faits vécus par une adolescente que je connaissais… particulièrement bien. Attention, certains passages peuvent être difficiles. Merci à Go Nagai pour son univers de héros qui surpassent leurs peurs et qui défient les méchants.Chapitre 1 « Je vais mourir ». Une pensée claire, simple, dépourvue de révolte ou de peur. Pour l’instant. Car elle découvrait que la peur pouvait être en retard, qu’elle pouvait oublier d’être présente dans les moments cruciaux, comme celui-là. Le visage pressé sur le sol, elle ressentait chaque petit caillou, chaque brindille s’enfoncer dans sa joue. Bizarrement, elle avait aussi de la terre dans la bouche. Comment? Elle avait dut crier en tombant, continuait de crier d’ailleurs parce que c’était ce qu’il fallait faire dans ces situations, non? Crier, se débattre, ne pas laisser l’assaillant croire qu’il pouvait réussir. Mais personne ne pouvait l’entendre ici. « Je vais mourir ». Ses yeux ne voyaient que les arbres et le sol jonché de branches et de feuilles mortes de ce bois, tout à l’heure si enchanteur, paré qu’il était d’un printemps qui sentait déjà l’été. Elle imagina ce qui allait suivre : il allait la violer et puis la tuer avant de laisser son cadavre pourrir sous le couvert impersonnel du sol de cette forêt. Elle s’y préparait déjà mentalement, préparait son corps à subir les assauts de cet inconnu en détachant ses émotions de ce que ses sens lui signifiaient. Son père ne saurait jamais ce qu’il était advenu d’elle. Elle serait une statistique… Une autre fille disparue dont on ne retrouverait jamais la trace. Étrangement, ce fut cette pensée fugitive, comme un éclair, cette vision d’elle-même comme d’un simple numéro de dossier de police qui la galvanisa. L’orgueil… *** Tout avait commencé par un désir de rêvasser un peu plus longtemps que d’habitude sur le chemin de l’école. Pour une fois Vénusia avait décidé de s’y rendre à pied, par le sentier du grand bois qui courait à flanc de montagne. Pour une fois, elle avait laissé son cheval à l’écurie, s’était dit que l’exercice lui ferait du bien et qu’après tout ce n’était qu’une petite promenade de trente minutes à peine. Elle aurait le temps d’arriver à l’heure à ses cours. Elle n’avait jamais rencontré personne dans ces petits chemins ombragés mais, comme ils longeaient une rue du village, elle ne fut pas trop surprise d’y croiser un jeune homme. Bref coup d’œil, rapidement échangé, aucune salutation, un peu de gêne comme on en ressent dans ces face-à-face fugitifs. Elle avait continué sa route, du même pas, sans plus y penser. Quels cours étaient à son horaire aujourd’hui? Quels travaux aurait-elle à faire? Son cartable était resté à l’école puisqu’elle n’avait pas eu de devoirs la veille. Elle ne portait qu’un sac à main qu’elle gardait en bandoulière pour avoir les mains libres. Des pas se rapprochèrent derrière elle. Elle songea : « Le jeune homme retourne sur ses pas, il a dû oublier quelque chose. » Elle s’apprêtait à se déporter un peu de côté pour le laisser passer vu l’étroitesse du sentier lorsqu’une douleur incroyable lui déchira le haut du crâne. Un bras passa devant son cou, comme pour l’agripper mais elle se dégagea avant que la poigne fut ferme et se mit à courir. Et à crier, comme il se doit. Les pas derrière elle se firent plus rapides, il courait aussi. Puis, ce fut comme si elle recevait une maison dans le dos : il la plaqua au sol. Ils roulèrent ensemble à quelques pas du sentier : elle, se débattant comme une tigresse, criant des paroles incohérents, et lui, silencieux, pesant de tout son poids sur son dos, sur ses jambes. L’une de ses mains lui retenait le poignet gauche alors que son bras droit se trouvait coincé sous elle, écrasé par leurs deux masses conjuguées, inutile. Elle criait toujours, des mots sans suite, des appels à l’aide étouffés parce qu’elle n’arrivait pas à faire entrer suffisamment d’air dans ses poumons pour les pousser avec plus de force. C’est à cet instant, lorsque son souffle se perdait dans les brindilles du sol, quand elle le sentit tenter de lui écarter les jambes de brutalité, qu’elle fut certaine de sa fin prochaine : « Je vais mourir.» Mais toujours pas de vraie peur… *** Elle avait eu peur pour sa vie une fois, il avait quelques années. Mizar et elle se baignaient et il avait voulu lui jouer un tour en s’agrippant à ses épaules alors qu’elle n’avait plus pied au fond du petit lac. Elle s’était enfoncée, la bouche et le nez pleins d’eau, les yeux grands ouverts. Et lui, inconscient du danger avait continué à lui peser sur les épaules. S’était-il affolé dans l’eau profonde, lui qui ne savait pas encore bien nager? S’était-il agrippé à elle comme le font les gens qui sont en train de se noyer, sans réfléchir, paniqué tout simplement? Enfoncée sous la surface, des bulles s’échappant de sa bouche pour lui chatouiller le visage, elle avait gigoté, s’était défait des petites mains sur ses épaules et était remontée à la surface, aspirant l’air à grandes goulées, toussant et crachant. Elle avait rattrapé la main de son frère qui s’enfonçait à son tour, tout en nageant vers la rive, jusqu’à ce que ses pieds touchent enfin le fond. Comme elle avait grondé l’enfant ce jour-là! Saurait-il ce qu’il était advenu de sa grande sœur? Pourrait-il comprendre cette part si sombre du monde, lui si jeune, si innocent? Et son père qui avait déjà tant souffert de la mort de sa femme, comment pourrait-il continuer sans son aide? *** Elle criait toujours. L’agresseur tenta de la faire taire en lui plaquant la main droite sur la bouche. Ce fut une erreur : elle le mordit fermement. Il retira vivement la main, toujours sans un mot, gardant malgré la douleur ce mutisme insolite. Presqu’aussitôt, elle sentit le poids sur son dos disparaitre et des pas rapides s’enfuir. Sans réfléchir, les membres lourds, elle se releva et courut elle aussi, dans la direction opposée. Cette fois, elle gardait le silence, réfléchissant à toute allure : « Il va revenir. Il est allé chercher une arme ou je ne sais pas quoi et il va revenir. » Elle considéra brièvement de se cacher quelque part dans la forêt mais le sentier arrivait à son terme et les bois se faisaient moins denses, les arbres plus rabougris et espacés. Pas de cachette donc. Une pensée lui vint alors qui lui tordit les entrailles: le sentier bifurquait brusquement vers la droite, longeant une sorte de falaise au pied de laquelle serpentait une route très fréquentée. Le sentier suivait la crête pour descendre doucement vers un endroit où la falaise devenait une pente abrupte qui débouchait sur cette route. Si l’agresseur la rattrapait ici il pourrait la pousser en bas. Une chute d’une quinzaine de mètres jusque sur le pavé… Cette fois, au plus mauvais moment, la terreur lui mordit les entrailles. La pensée qu’il pourrait, d’un coup, la faire mourir si facilement, lui coupa le souffle. Ses idées devinrent confuses, cédant le pas à son imagination qui lui faisait entendre l’arrivée de son agresseur dans chaque souffle du vent parmi les feuilles naissantes. Elle suivit le sentier vers la droite, trébucha sur de grosses pierres, glissa sur les cailloux qui parsemaient le chemin, s’écorcha les mains en tentant de se retenir aux arbres frêles qui avaient eu la malchance de se trouver sur son passage. Elle respirait par à-coups et, à quelques pas du débouché, délaissant le sentier, elle sauta les deux derniers mètres vers le bas de la falaise, cherchant à se faire voir, certaine qu’il n’oserait plus s’approcher d’elle dans un endroit aussi en vue que ce bord de route. Elle se retrouva dans un fossé, remonta péniblement sur le bas-côté et continua de marcher vers l’école. Et là… elle perdit tout contrôle, marchant, courant presque, parlant, balbutiant tout haut alors qu’il n’y avait personne pour l’écouter : « Ça n’est pas vrai… Ça ne m’est pas arrivé, c’est un cauchemar… Un cauchemar et je vais me réveiller. Aidez-moi… Aidez-moi quelqu’un SVP! J’ai besoin d’aide… » *** Lady Oscar Lady Oscar *** |
| | | Oscar1965 L'ombre et la lumière de l'amour
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| Sujet: Re: Le sentier Jeu 17 Sep 2015 - 1:21 | |
| Chapitre 2 Une fois les vannes émotives ouvertes, plus moyen de les refermer : elle tentait vainement de retenir ses sanglots. Tremblant de tous ses membres, un peu vacillante sur ses jambes, elle avançait néanmoins vers son but : la cour de l’école. À cette heure de nombreux véhicules circulaient à grande vitesse dans les deux directions mais aucun ne s’arrêta, aucun même ne ralentit, comme si le spectacle d’une fille en pleurs, les vêtements maculés de terre et marchant le long d’une route était chose courante. Vénusia commençait à désespérer. Elle redoutait d’entrer dans la grande bâtisse, d’y croiser de près les regards des autres élèves, d’avoir à expliquer ce qui s’était passé à tous ces gens. Elle était presque rendue à la porte lorsqu’un jeune homme à moto s’arrêta à sa hauteur. - Je peux vous aider? fit-il en fronçant les sourcils. Elle eut un drôle de sentiment de « déjà vu ». Il était un peu plus âgé qu’elle et portait les cheveux un peu trop longs, en bataille. Sa voix était douce mais son regard perçant la mit en confiance sans qu’elle sache au juste pourquoi. Les mots déboulèrent alors, sans logique : -Je… j’ai été attaquée… dans le bois, là. Il... il faudrait que je rentre chez moi. Pouvez-vous m’aider SVP? Il n’hésita pas : - Oui, bien sûr, où habitez-vous? - Au ranch…, commença-t-elle avant de s’interrompre, confuse. Oh non! -Qu’est-ce qu’il y a? -Je… c’est que je ne peux pas rentrer chez moi… murmura-t-elle enfin. Dans la tourmente des événements, elle avait oublié : il n’y avait personne à la maison. Riguel était en ville, à l’hôpital auprès de Mizar qui avait fait hier une vilaine crise d’appendicite. Si elle rentrait, elle serait toute seule, et elle avait désespérément besoin d‘être avec quelqu’un en ce moment. Le jeune homme la fixait, indécis. Il réfléchissait. Elle ne semblait pas avoir fait une fugue puisqu’elle ne portait pour tout bagage que ce sac à main en bandoulière. Et puis une fille qui s’enfuit de chez elle viendrait-elle rôder près d’une école? Il demanda enfin : - Pourquoi ne peux-tu pas rentrer chez toi? Elle hésita. Elle ne pouvait tout de même pas révéler à un parfait inconnu qu’elle vivait toute seule en ce moment et que son père ne serait pas de retour avant deux jours au moins! Mais était-il vraiment un inconnu? Plus elle l’observait, plus elle se disait qu’elle l’avait déjà vu quelque part, mais où? Son esprit n’arrivait pas à se fixer sur une pensée cohérente et logique en ce moment. Elle ne désirait qu’une seule chose : se sentir en sécurité. Il dut lire cela dans son regard désespéré parce qu’il suggéra d’une voix douce : - Accepterais-tu de venir avec moi chez mon père? Il pourra certainement t’aider. Nous habitons non loin d’ici. Près du Centre de recherches spatiales. Il en est le directeur… - Le professeur Procyon! Oh oui! Je le connais, je… Oui, s’il-vous-plait… Les larmes menaçaient de couler à nouveau sous sa voix chevrotante. Le professeur Procyon : elle aurait dû y penser toute seule. Lui saurait certainement l’aider. Mais, toujours confuse, elle ne comprit pas comment elle ne reconnaissait point ce jeune homme, elle qui connaissait le professeur depuis sa naissance. Trop de questions… - Penses-tu pouvoir tenir derrière moi? fit-il doucement. - Euh… oui, je crois. Elle s’installa derrière le jeune homme, pensant se retenir grâce à la sorte de poignée qui dépassait à l’arrière de son siège. Mais ils n’avaient franchi que quelques dizaines de mètres avant qu’il ne s’arrête de nouveau : - Ça ne va pas, on dirait que tu vas tomber, dit-il. - Je suis désolée, fit-elle. Je ne suis pas habituée à ce genre d’engin. Ses bras tremblaient tellement en ce moment qu’elle craignait de s’écrouler dès qu’il démarrerait. Il devait l’avoir senti car il proposa tout simplement : - Mets tes bras autour de ma taille, oui, comme ça. C’est mieux? - Ou.. oui, fit-elle, confuse. Il redémarra en douceur. Pour pouvoir faire le tour de son corps et se tenir solidement, elle devait coller sa joue à son dos, entre ses deux omoplates. Le bourdonnement du moteur, le mouvement de la machine, le contact de son visage sur le torse du jeune homme eurent tôt fait de l’apaiser. Elle eut même l’impression d’entendre battre le cœur de cet inconnu malgré le bruit du moteur. Ses longs cheveux volaient au vent qui asséchait aussi ses pleurs. Elle ne vit pas le chemin qu’ils suivaient, toute occupée à ressentir ces choses nouvelles. Jamais elle ne s’était ainsi appuyée sur le corps d’un homme… Le bien-être et la fatigue provoqués par toute ces émotions lui donnaient presqu’envie de dormir. Elle eut voulu que le trajet ne finisse jamais. Quand il ralentit enfin, elle ouvrit les yeux et reconnut la maison du professeur Procyon. Ce dernier s’avançait d’ailleurs sur le pas de la porte, le regard interrogateur. Vénusia se redressa, s’éloignant à regret de la présence chaleureuse qui l’avait accompagnée jusqu’ici. Elle ouvrit la bouche pour s’expliquer mais le professeur fut plus rapide : - Qu’est-ce qui s’est passé? Actarus, tu es blessé? Elle vit alors que le t-shirt et la veste du jeune homme étaient tachés de sang. Une trace énorme… Confuse, Vénusia porta la main à sa propre tête. Ses cheveux étaient tout poisseux de sang qui commençait à sécher sur les mèches plus longues. Elle voulut s’excuser mais avant qu’elle puisse ouvrir la bouche, Actarus (puisqu’il semblait que c’était ainsi qu’il s’appelait), s’approcha rapidement de son père pour lui raconter ce qu’il savait. Vénusia, pendant ce temps, descendit lentement de la moto et se tint les avant-bras, comme pour se réchauffer. S’approchant et lui touchant doucement l’épaule, Procyon dit simplement : - Viens à l’intérieur, nous parlerons de tout ça. Mais ils ne parlèrent pratiquement pas. Ils virent rapidement qu’elle était épuisée. Elle expliqua simplement, en trois phrases qu’elle avait été attaquée, qu’elle ne voulait pas rentrer au ranch puisque son père était absent et qu’elle était fatiguée. - Alors tu vas rester ici, fit le professeur de sa voix grave. Actarus s’excusa et s’éclipsa aussitôt. - Professeur, fit la jeune fille timidement, qui est ce jeune homme? Il m’a dit qu’il était votre fils mais… Le professeur prit un air dégagé : - C’est vrai, Riguel, Mizar et toi n’avez pas encore fait sa connaissance. Actarus est mon fils unique en effet. Il… était parti étudier dans un pays étranger et n’est revenu que depuis peu. - Je ne savais pas que vous aviez des enfants, fit la jeune fille innocemment. -J’ai adopté Actarus alors qu’il n’était déjà plus un enfant. Vénusia, mon fils a été très malade récemment et il est encore un peu fragile, tu comprends? Il serait préférable que tu ne lui parles pas trop de ses études ni de sa maladie. - Oh! dit, la jeune fille, un peu déçue de ne pouvoir satisfaire sa curiosité. Ne vous tracassez pas, je ne lui dirai rien. Mais professeur se pourrait-il que je l’ai déjà aperçu? - Oui c’est bien possible en effet. Il vient me voir au Centre quelquefois. Cela expliquait donc cette impression bizarre qu’elle avait eue en le voyant. Elle l’avait sans doute croisé ou vu de loin lorsqu’elle était venue livrer du lait au Centre! Le jeune homme en question revint bientôt avec en main un t-shirt propre ainsi qu’un chandail gris à grosses mailles. Lui-même s’était changé et portait maintenant un chandail bleu, à manches longues, qui faisait ressortir l’azur de ses yeux. Il lui tendit les vêtements d’un air gêné : - Tiens, tu peux les porter en attendant… - Merci… fit-elle reconnaissante. Mais j’aurais peur de les salir de nouveau… En effet, sa plaie à la tête n’avait pas vraiment cessé de saigner et la serviette que le professeur lui avait donnée pour appuyer dessus était encore toute rouge. - Alors, nous allons nous occuper de cela tout de suite, fit ce dernier. Il l’entraina dans la salle de bain où il écarta doucement les mèches souillées pour mettre à jour la blessure en forme de croissant qui marquait le cuir chevelu. Avec des gestes précis, il désinfecta la plaie, anesthésia la zone, en rasa les contours et en recousit les bords. Vénusia gardait le silence, grimaçant un peu lorsque la douleur se faisait plus vive, la tête penchée au-dessus du plan de travail immaculé. - Voilà, c’est fini dit enfin le professeur, en nettoyant ses instruments. - Merci, fit la jeune fille d’une voix faible. Elle jouait machinalement avec une mèche toute raidie par le sang séché. Le professeur fronça les sourcils : - Non, ça ne va pas, tu ne peux pas rester comme cela. Il faudrait te laver les cheveux… Mais toute seule tu n’y arriveras pas, tu risques de mouiller la blessure. Une voix se glissa alors, venant de l’entrée de la salle de bain : - Veux-tu que je m’en charge, père? - Oh Actarus, oui, s’il-te-plait. Il faut faire très attention à ne pas mouiller ou mettre de shampoing sur la blessure. Le professeur consulta la jeune fille du regard. Elle avait rougi lorsque le jeune homme s’était proposé pour lui prodiguer ces soins. Mais pourquoi pas après tout? - Oui, fit-elle d’une petite voix, je veux bien. Les prochaines minutes furent un peu troublantes pour les deux jeunes gens. Penchée au-dessus de l’évier dans lequel coulait une eau rougie de sang, ses mèches lui collant au front et à la nuque, Vénusia sentait les longs doigts du jeune homme masser timidement le cuir chevelu et frotter délicatement les longues boucles brunes. Actarus, qui n’avait jamais rien fait de semblable, se trouvait maladroit. Il devait se concentrer mais heureusement, le silence et la docilité de la jeune fille lui rendirent la tâche plus facile. Il lui passa enfin une serviette et elle releva la tête, un sourire timide aux lèvres. - Je te laisse pour que tu puisses te changer, dit-il laconiquement avant de s’éclipser. Une fois les vêtements propres enfilés, Vénusia les rejoignit dans le séjour où l’attendait une tisane bien chaude. - Assied-toi fit le professeur. Je sais que tu es fatiguée ma petite Vénusia mais maintenant il est important que tu nous racontes tout ce qui s’est passé. La voix de la jeune fille emplit timidement la pièce alors qu’elle relatait pour la première fois, le début de cette horrible journée. Commentaires ici *** Lady Oscar Lady Oscar *** |
| | | Oscar1965 L'ombre et la lumière de l'amour
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| Sujet: Re: Le sentier Ven 18 Sep 2015 - 0:21 | |
| Chapitre 3 Vénusia monologua de longues minutes. Cependant, on aurait pu croire qu’elle racontait les mésaventures de quelqu’un d’autre tant son ton monocorde et détaché contrastait avec les faits relatés. Les deux hommes l’écoutaient en silence. Le professeur Procyon serrait les lèvres mais Actarus dut très souvent détourner le regard et serrer les poings, affecté par ce récit. Lorsqu’enfin elle se tut, le soleil se déversait dans la pièce en des rayons orangés, annonciateurs de la fin du jour. - Je suis désolé de ce qui t’est arrivé, fit enfin le professeur d’une voix sourde. Maintenant, il va falloir appeler la police. - La police! Oh... oui, je suppose, dit Vénusia consternée. Elle se doutait bien que cette difficile épreuve n’était pas terminée mais elle voulait tellement dormir! Elle ne pensait plus qu’à cela : dormir et ne plus penser. Mais le professeur n’avait pas terminé, il ajouta d’une voix encore plus douce : - Il faut aussi téléphoner à ton père. La jeune fille se figea : elle n’avait pas envisagé cela. Il lui semblait qu’elle avait perdu toute capacité de pensée pratique depuis ce matin. Elle d’habitude si organisée! La perspective de devoir expliquer cette attaque à Riguel, au téléphone de surcroît, lui apparut soudain comme une montagne à escalader et elle s’enfonça un peu plus dans le grand fauteuil où elle était assise. - Ne t’en fais pas, je vais m’en charger, fit Umon. Va te reposer maintenant, tu sembles en avoir bien besoin, mon petit. Le professeur l’accompagna jusqu’à la chambre d’ami. Il s’assura qu’elle était bien installée et remonta même la couverture sur ses épaules. Au moment où il allait sortir, elle s’écria, soudain alarmée : - Le ranch! Les animaux! Quelqu’un doit s’occuper d’eux ce soir! - Soit tranquille Vénusia, je vais me charger de cela. Dors maintenant. Elle ne se fit pas prier. Malgré les événements, malgré cette chambre et ce lit inconnus, il ne lui fallut que quelques minutes pour s’endormir profondément. *** Le professeur Procyon fit ensuite plusieurs appels avant de rejoindre Actarus à la cuisine où le jeune homme s’affairait à leur préparer un repas léger. Umon observa pensivement ce fils qu’il ne connaissait pas quelques mois seulement auparavant et qui occupait maintenant une telle place dans sa vie et dans son cœur. Ses collaborateurs au Centre, qui connaissaient pourtant le secret de ses origines, voyaient en lui un jeune homme réservé, taciturne et un peu mélancolique mais Umon avait appris à déceler ses réactions les plus infimes : la crispation des mâchoires, le raidissement des épaules, le regard qui se faisait plus perçant ou plus rêveur, les silences et les moments où il se retirait dans une douloureuse solitude comme un animal blessé qui veut lécher ses blessures… Aujourd’hui, il lui sembla que son fils était ébranlé, révolté sans doute par les événements. Il lui dit enfin : - Actarus, tu sais n’est-ce pas, que si quelque chose te trouble, tu peux toujours m’en parler? - Cette histoire avec Vénusia… répondit en hésitant le jeune homme. - Hum… Oui… C’est vraiment horrible mais je ne pense pas que nous puissions faire plus pour l’instant. Elle va se reposer et la police la verra demain pour l’enquête. J’ai parlé à Riguel. Il était très inquiet mais cela l’a rassuré de la savoir ici, en sécurité. Pour ce qui est du ranch… - Qu’est-ce qui ne va pas au ranch? - Actarus, tu ne peux te douter de tout le travail qu’exige une ferme. Les animaux ont besoin de soins régulièrement. Vénusia sait tout cela et s’inquiète pour eux. J’ai appelé quelques voisins fermiers des environs qui ont accepté d’y passer pour s’en occuper pendant qu’elle est sous notre toit. - Ne pourrions-nous pas nous en charger nous-même? Umon eut un sourire rempli de tendresse à l’adresse de son fils : - Je crains de ne rien y entendre, malheureusement. Quant à toi… Le jeune homme eut l’air embarrassé : - Oui, bien sûr, je ne suis même pas sûr de pouvoir correctement nommer les bêtes de cette ferme, alors en prendre soin… - Dès que tout sera rentré dans l’ordre nous irons faire une visite à mon ami Riguel et il sera très fier de te montrer tout cela, je te l’assure. - Et crois-tu qu’on retrouvera un jour son attaquant? - C’est le travail de la police… J’espère bien en tout cas. - Je voudrais… il hésita, je voudrais pouvoir l’aider. Mais je ne sais pas comment. Umon observa son fils un moment, surpris mais néanmoins heureux de voir qu’il commençait lentement à sortir de sa coquille et à se préoccuper des gens qui l’entouraient. Pourrait-il en un jour sortir tout à fait de son enfer personnel? Lui qui avait tant souffert… Le professeur serra le bras de son fils en souriant : - Si quelqu’un peut aider Vénusia, c’est bien toi, mon fils. Ne t’en fais pas, je suis sûr que tu trouveras un moyen. *** Vénusia ouvrit les yeux dans le noir. Pendant un instant, elle resta immobile, confuse et perdue. Cette chambre… il lui fallut un petit moment pour la reconnaître. Un sentiment de soulagement l’envahit lorsqu’elle reconnut l’endroit et elle remercia silencieusement le professeur de l’avoir ainsi accueillie. Elle demeura étendue, repensant à tout ce qui s’était passé, revoyant la scène comme une spectatrice, critiquant tel passage, se demandant si elle aurait pu faire autrement. Le calme de la nuit fut soudain déchiré par une longue plainte puis par un cri faible suivit d’un sanglot étouffé. Vénusia tendit l’oreille. Elle perçut une porte qui s’ouvrait, des pas rapides et des mots indistincts, prononcés par une voix douce et grave qu’elle connaissait bien. Dévorée de curiosité, elle se leva sans bruit et se posta dans l’entrebâillement de sa porte pour tenter de comprendre ce qui se passait. Une faible lueur lui parvenait du bout du couloir. Elle écouta de nouveau les sanglots déchirants qui s’échappaient de la chambre située un peu plus loin. Le cœur serré, elle comprit qu’il s’agissait du jeune homme que le professeur avait adopté. Il avait dit qu’Actarus avait été malade… Faisait-il une rechute? Lorsqu’au bout de longues minutes, elle vit le professeur Procyon revenir dans le couloir, pieds nus, en pyjama et les cheveux en bataille, elle ne put se contenir : - Professeur! Est-ce qu’Actarus va bien? dit-elle en ouvrant sa porte. Il eut l’air embarrassé : - Vénusia… je suis désolée si le bruit t’a réveillée. Actarus fait quelquefois des cauchemars… - On aurait dit qu’il pleurait… fit la jeune fille. Umon réfléchit, comment faire lui comprendre la situation sans dévoiler le secret des origines d’Actarus? Il opta pour la franchise prudente. Vénusia était intelligente et compatissante en plus d’être très lucide. Une qualité qu’elle devait certainement tenir de sa mère… Il la pria de s’assoir avec lui dans le séjour et alluma une petite lampe. Une douce lumière les enveloppa tous les deux d’un cocon chaleureux, contrastant avec ce qu’il devrait lui révéler. - Ce que j’ai à te dire sera très difficile à entendre, surtout après ce qui s’est passé hier. Mais tu es assez grande pour comprendre et… je crois que mon fils a besoin d’une amie. De plus, il est très important que tu ne le répètes à personne. Peux-tu me promettre cela? Il laissa le silence entre eux s’étendre un peu tandis qu’elle réfléchissait à ses paroles. Enfin, elle hocha la tête : - Je promets professeur. J’aimerais savoir. Umon croisa les doigts et les fixa, choisissant ses mots avec prudence : - J’ai recueilli Actarus il y a environ six mois. Lorsqu’il est arrivé ici, il était affreusement blessé. J’ai cru qu’il allait mourir. Mais je l’ai soigné, il a guéri et il m’a raconté son histoire. Le professeur fit une pause. Vénusia avait pâli mais elle le fixait en hochant la tête, l’incitant à poursuivre : - Actarus a survécu à une guerre terrible qui a décimé sa… famille. Avant de venir vivre ici, il était seul au monde. Il a vécu des choses atroces qui l’affectent encore aujourd’hui. Vénusia avait écouté, les yeux agrandis par la stupéfaction. Que quelqu’un d’aussi jeune ait eu un destin si cruel! Au bout d’un moment elle, murmura : - C’est pour cela qu’il fait des cauchemars? - Oui… Il va mieux aujourd’hui. Il n’en parle presque jamais mais j’ai bien peur que ton récit ait réveillé de bien mauvais souvenirs… Cette fois, les yeux de Vénusia se remplirent de larmes. Elle n’avait pas voulu cela! Il l’avait aidé et elle lui avait fait du mal! Le professeur se rendit compte trop tard de son erreur. Confus, il s’exclama : - Non! Je t’en prie, Vénusia, ne pleure pas. Ce n’est pas de ta faute, je n’aurais pas dû dire cela… Il lui tapotait gauchement le bras, embarrassé devant sa réaction. La jeune fille essuya machinalement ses pleurs avec la manche tricotée puis elle renifla avant de dire : - Professeur, je suis désolée de ce qui lui est arrivé. Il a été si gentil hier! Dites-moi, comment… comment pourrais-je l’aider? Malgré les circonstances, Umon eut un petit sourire : n’avait-il pas entendu ces mêmes mots de la bouche de son fils quelques heures plus tôt? Il opta pour à peu près la même réponse : - Comme je te l’ai expliqué, je pense qu’Actarus a surtout besoin d’une amie en ce moment. Je suis sûr qu’en cherchant un peu, tu trouveras une façon de lui venir en aide… Commentaires ici *** Lady Oscar Lady Oscar *** |
| | | Oscar1965 L'ombre et la lumière de l'amour
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| Sujet: Re: Le sentier Sam 19 Sep 2015 - 1:10 | |
| Chapitre 4 L’air réchauffait la paille fraîche sur laquelle elle s’était étendue, lui donnant le parfum délicieux de l’été. Dans la grange, on entendait crier les bêtes nées durant cette saison bénie. « C’était dangereux… Une fille toute seule dans les bois, tout le monde sait cela… Cette fille n’aurait pas dû… Toujours faire attention… Tout de même, elle n’aurait pas dû… pas dû… » Sans fin résonnaient les paroles de cette femme, ce prof avec ses gros yeux stupides. Sans arrêt, elle débitait des inepties sur l‘ « attaque survenue sur une jeune fille » la veille, portant un jugement, prenant les autres à témoin, donnant son avis sans se douter que la fille en question se trouvait assise à quelques mètres seulement, parmi ses camarades de classe, un fichu sur la tête camouflant sa blessure. Cette jeune fille qui était retournée à ses cours dès le lendemain comme si de rien n’était, qui n’avait conté cette histoire qu’à deux ou trois amies fiables qui s’étaient tenues à ses côtés toute la journée, pour la soutenir et écarter les questions malvenues. Avait-elle compris, cette femme, ce qui se passait quand Vénusia, la calme, la studieuse et toujours travaillante Vénusia Riguel avait été appelée au bureau du directeur? S’était-elle doutée qu’elle se rendait rencontrer un policier? Et pourquoi cela lui importait-il? Pourquoi cela faisait-il si mal que quelqu’un puisse la croire imprudente? Que quelqu’un puisse remettre en question son droit de se promener en plein jour où bon lui semblait? Un bruit de moteur la tira de sa rêverie et Vénusia ouvrit les yeux. Elle écarta d’un geste agacé une mouche qui lui tournait autour et se redressa. Elle sentit battre son cœur juste un peu plus vite. « Il » était là. Actarus Procyon. Il avait arrêté sa moto et s’avançait lentement dans le soleil de fin d’après-midi. De petits papillons jaunes s’élevèrent sous ses pas, dérangés de leur cachette dans les herbes hautes. L’apercevant, à moitié couchée sur son tas de paille, il dit : - Vénusia? Tu n’es pas rentrée? Mon père s’est inquiété… Nous croyions que tu reviendrais chez nous après l’école… - Excuse-moi Actarus, c’est juste que j’avais besoin de réfléchir un peu… Et je voulais voir si tout allait bien ici. Il leva les yeux pour embrasser le lieu du regard : les bâtiments de ferme, la grande maison, les prés et le petit bois… Il hocha la tête : -C’est beau chez toi. Tout va bien? Je veux dire, les bêtes ont été bien soignées hier? - Oui, il n’y a eu aucun problème. J’étais juste inquiète parce que nous avons plusieurs mères qui viennent de mettre bas ou qui le feront sous peu. Il faut quelquefois s’en occuper mais hier, il ne s’est rien passé de spécial. Elle lui sourit timidement alors qu’une idée lui venait tout à coup : - Tu voudrais visiter? Voir les nouveau-nés? Il hocha la tête en s’avouant qu’il était fort tenté. On entendait d’ailleurs déjà quelques cris venant de l’étable où l’adolescente l’entraîna. La lumière entrait par de petites fenêtres en de longues franges dans lesquelles la poussière dansait lentement. Un concert d’odeurs accueillit le jeune homme, toutes plus étranges les unes que les autres. Il trouva d’abord cela désagréable mais au bout de quelques minutes, il n’y pensa plus. L’endroit fourmillait d’une activité sereine. Actarus se concentra, détaillant la scène et forçant son cerveau à lui restituer les noms des bêtes appris le jour même grâce à l’aide de son père. Dans un coin deux chatons se disputaient un bout de ficelle, une vache et son petit mâchouillaient leur ration sans se préoccuper des humains qui les admiraient en passant ni des poules qui se promenaient en toute liberté, toujours à la recherche de choses intéressantes à picorer, évitant d’instinct les sabots. Vénusia l’attira dans un box situé dans un coin à l’écart : - Regarde, ce petit chevreau est né il y a une semaine à peine! N’est-il pas mignon? L’animal s’approcha avec curiosité de la main tendue de la jeune fille et se mit à lui téter les doigts avec vigueur. - Qu’est-ce qu’il fait là? fit Actarus, ahuri. Elle rit : - C’est instinctif. Il a faim c’est tout! Tu veux le prendre? Le jeune homme installa un peu gauchement le cabri sur ses genoux et le caressa, attendri. L’animal, confiant, semblait beaucoup apprécier : - Tu as beaucoup de chance Vénusia, dit-il au bout d’un moment. Elle l’entraîna ensuite à l’extérieur, vers un enclos où se trouvait une jument baie qui promenait lentement son gros ventre : - C’est Tsuki*, la préférée de Mizar. Elle va bientôt avoir son premier petit. Actarus admira la bête majestueuse. Il avait du mal à croire qu’un humain puisse se faire obéir d’un tel animal au point de monter sur son dos. - Actarus, tu peux rentrer chez ton père, je vous rejoindrai plus tard. Il y a encore du travail à faire ici, dit enfin Vénusia. - Laisse-moi t’aider. Si tu m’expliques comment cela ira plus vite. Surprise et ravie, Vénusia vit dans son regard qu’il le désirait vraiment. Elle sourit de nouveau, lui prit la main et l’entraîna vers le hangar. *** Un soleil déclinant découpait sur la route la silhouette fuyante d’une moto. Actarus se sentait fatigué, il était sale, il avait des ampoules aux mains et de la crasse sous les ongles. En plus il avait chaud et il avait une faim de loup. Et pourtant… Et pourtant il ne s’était pas senti aussi bien depuis très longtemps. Sa tête était encore pleine des multiples découvertes faites aujourd’hui : le ranch, cette force vive, tranquille et sans détour d’une nature apprivoisée, pacte tacite entre les humains et les bêtes. Et le travail physique, sensation d’accomplir quelque chose, d’être utile à quelqu’un, de ne plus être seulement l’être fragile toujours en convalescence, celui dont on doit prendre soin ou l’étranger qui dérange. Vénusia avait repris sa place derrière lui, comme une chose toute naturelle et le poids de sa tête dans son cou lui semblait à la fois étrange et réconfortant. Lorsqu’ils entrèrent dans la maison du professeur Procyon, celui-ci ouvrit de grands yeux : - Mais d’où sortez-vous donc tous les deux? Actarus, ce n’est pas possible, tu empestes le fumier! Le jeune homme eut l’air contrit : - Pardonne-moi père, nous arrivons du ranch. Il y avait beaucoup à faire et… - Et Actarus a été merveilleux! compléta la jeune fille en riant. Il m’a donné un sacré coup de main! - Ah, je suis content que ce ne soit que cela! Mais allez vous laver avant le repas, je vous en conjure! fit le professeur en souriant. - Je prends la salle de bain la première! lança Vénusia en courant vers la pièce en question. - Ah non! Et moi, alors? - Tu n’as qu’à attendre ton tour! lui dit-elle avec un clin d’œil. Actarus se croisa les bras avec un sourire aux lèvres : - Gamine, va! De la cuisine, Umon qui avait assisté à toute la scène, en échappa presque sa pipe : son fils se faisait taquiner? Personne encore au Centre n’avait osé cela! Le jeune homme souriait, se lavant les mains tout en expliquant à grands renforts de détails les animaux qu’il avait découverts et les travaux qu’il avait menés au ranch. Lorsqu’il commença à rôder autour des casseroles et à dérober des bouchées dans les différents plats, le professeur intervint : - Mais tu es affamé, ma parole! Je ne t’ai jamais vu traîner comme cela dans la cuisine, mon fils. - Excuse-moi, père. C’est vrai que toute cette activité a réveillé mon appétit. - Ne t’excuse pas. C’est une bonne faim. Et je soupçonne que tu souffriras ce soir de ce qu’on appelle aussi une bonne fatigue… Le repas fut copieux et agréable. Les deux hommes devisaient de leur journée respective tout en profitant allégrement des différents plats. Vénusia, de son côté, restait silencieuse. Umon s’en aperçut : - Vénusia, ça va mon petit? Tu n’as presque pas touché à ton souper… Ramenée à la réalité, elle parut embarrassée : - Je suis désolée, professeur… Je n’ai pas très faim. Le scientifique plissa les yeux en observant l’adolescente de plus près : - Tu es sûre qu’il n’y a pas autre chose? Comment s’est passé ta rencontre avec le policier? Elle haussa les épaules : - Bien, je suppose. Il était très gentil. Il s’est montré surpris de me trouver à l’école. Il pensait que je serais demeurée ici… - Il t’a interrogée sur ce qui s’était passé? - Oui, je lui ai tout raconté… En fait, elle se souvenait parfaitement de tous les détails de l’aventure mais les traits de son agresseur n’étaient que brouillard et elle avait été très gênée de ne pas pouvoir décrire son visage. Comme il ne recevait que des réponses laconiques, le professeur n’insista pas. Au bout d’un petit moment, Vénusia repoussa son assiette et s’excusa avant de disparaître dans la chambre pour faire ses devoirs. En la voyant si abattue le professeur fronça les sourcils en songeant: « Pauvre petite, elle n’en a pas encore fini avec cette histoire, j’en ai bien peur! » Elle se coucha tôt, écrasée de fatigue encore ce soir-là. Son corps réclamait le sommeil mais son cerveau en ébullition ne l’autorisa pas. Les scènes du jour repassaient en boucle comme un vieux film détraqué : les airs consternés et inquiets de ses amies lorsqu’elle leur avait avoué la raison de son absence de la veille, les regards des autres qui, lui semblait-il, voyaient dans ses yeux son douloureux secret, les questions de l’enquêteur (aurait-elle pu être plus précise?) et les paroles inconsidérées lancées par ce professeur. Lasse de regarder le plafond de sa chambre, elle défit une couverture de son lit et s’en enveloppa. Contrastant avec ses pensées tourmentées, la maison respirait le calme et la tranquillité. Aucun cri ou sanglot ne provenait de la chambre à l’autre bout du couloir. Elle sortit sur la terrasse, respirer l’air frais de cette nuit de printemps. La lune gibbeuse, à l’image des bêtes du ranch, montrait un gros ventre argenté. Malgré la quiétude, malgré le ciel étoilé, les images tournaient encore, engendrant des questions auxquelles elle ne trouvait pas de réponse. Et le doute, poison insidieux, s’infiltra lentement dans les veines de l’adolescente: aurait-elle pu être plus prudente? Avait-elle cherché les problèmes en passant par ce sentier? Ce qui était arrivé était-il de sa faute? Et son père et Mizar qui revenaient demain! Il allait encore falloir s’expliquer, argumenter peut-être. Riguel pouvait être si borné quelquefois! Aurait-elle droit à un sermon? La blâmerait-il pour ce qui était arrivé? Ses yeux secs cherchèrent dans le firmament, un astre auquel se raccrocher, un indice de réponse. Dans la maison derrière elle, un jeune homme au nom d’étoile jouait en songe avec un poulain blanc comme la neige des sommets. *Tsuki : Lune Commentaires ici*** Lady Oscar Lady Oscar *** |
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| Sujet: Re: Le sentier Lun 21 Sep 2015 - 19:04 | |
| Chapitre 5 Umon se resservit du café : - Vénusia, c’est congé aujourd’hui, n’est-ce pas? Que comptes-tu faire de ta journée? Vénusia, dérangée dans la contemplation silencieuse de la vapeur montant de sa tasse de thé, répondit machinalement : - Rien de spécial. Je crois que je vais retourner à la maison, faire un peu de ménage en attendant le retour de mon père et de Mizar cet après-midi… Le ton morose et les yeux cernés de la jeune fille inquiétèrent légèrement le professeur : - As-tu encore besoin d’aide? - C’est gentil professeur mais, sans vouloir vous offenser, je crois que je préfèrerais rester un peu toute seule. Elle se leva peu après et se rendit dans sa chambre pour se préparer et y ramasser ses quelques affaires. Dès qu’elle fut hors de vue, Actarus confia : - Père, je l’ai entendue rentrer cette nuit. Elle était restée sur la terrasse je crois. Elle a l’air d’avoir très mal dormi. - Hum… Son comportement a changé depuis qu’elle est retournée à l’école hier. On dirait que quelque chose s’est passé qui la tourmente. C’est différent de l’attitude qu’elle avait lorsque tu nous l’as ramenée. Je n’arrive pas à l’expliquer… - Peut-être est-elle inquiète de parler à son père? - Ah, pour ça Riguel peut être assez difficile quelquefois. Mais Vénusia a toujours su se tenir debout face à lui. Non, je ne crois pas qu’il s’agisse seulement de cela… Actarus termina son petit déjeuner en silence, réfléchissant aux paroles de son père. Il lui dit enfin : - J’ai une idée… un projet pour Vénusia mais je ne sais pas si c’est souhaitable. - Dis toujours, nous verrons bien, répondit le professeur. Actarus lui exposa son plan en quelques mots. Umon hocha la tête : - Oui… peut-être que cela pourrait marcher. Si tu sais trouver les mots… Et si tu es prêt à toute éventualité au cas où sa réaction serait négative. - J’y ai pensé, père. Je crois que ça ira. Je saurai quoi lui dire. En disant cela, les yeux du jeune homme regardaient vers son propre passé, pas si lointain. - J’ai beaucoup appris grâce à toi, ajouta-t-il avec un sourire complice. Umon fit mine d’allumer sa pipe avant de poursuivre : - Actarus… elle est très jeune… - Oui, et alors? - Tu seras seul avec elle là-bas… - Père, je ne comprends pas, fit le jeune homme bien qu’au contraire il commençait à saisir l’allusion. - Tu n’as pas l’air de réaliser l’effet que tu sembles lui faire mon fils… - Mais tu l’as dit toi-même, ce n’est qu’une gamine! fit Actarus choqué. - Une gamine qui devient tout doucement une jeune femme… Et qui est plutôt fragile en ce moment. Actarus était abasourdi. Non, il n’avait rien remarqué. Vénusia était gentille, un peu triste depuis leur première rencontre mais cela pouvait se comprendre. Il était lui-même très bien placé pour savoir comment certains événements peuvent perturber… Mais elle avait eu un ou deux sourires, un éclat de rire aussi, il s’en souvenait… et toujours en le regardant lui. Soudain cela le mit mal à l’aise. L’éventualité que l’adolescente puisse développer des sentiments à son égard ne lui avait jamais effleuré l’esprit. Il balbutia : - Alors tu crois que je devrais laisser tomber ce dont je viens de te parler? - Non, pas du tout. Tu devrais l’emmener au contraire. Je voulais juste te prévenir… Le jeune homme hocha la tête avant de reprendre une gorgée de thé, la bouche soudain sèche. *** Actarus descendit de moto et attendit quelle fasse de même. Mais Vénusia ne bougeait pas : - Pourquoi… Qu’est-ce qu’on fait ici? prononça-t-elle finalement. - J’aimerais que tu me montres où cela s’est passé, répondit calmement le jeune homme. Il lui tendit la main : -Alors, tu viens? Ses yeux trop bleus étaient plantés dans ceux de Vénusia. Était-ce un défi? Piqué dans son orgueil, elle se redressa et descendit de la moto : - D’accord, je vais te montrer. Le sentier se déroulait sous leurs pieds et la forêt était aussi paisible qu’avant. Les oiseaux, tout à leur cour printanière, chantaient sans se soucier des humains parcourant leur domaine. Vénusia marchait en tête, les sens aux aguets mais étrangement calme. Elle connaissait cette forêt depuis toujours, l’avait parcourue à maintes reprises seule ou avec son frère, y avait joué… C’était presque son domaine… Et pourtant c’était le décor qui avait présidé au pire jour de sa vie. Actarus observait sa compagne sans dire un mot. Elle ne semblait pas nerveuse. Au contraire, son pas était sûr et sa démarche énergique. Elle ralentit soudain, fouillant le bois du regard, tournant la tête vers la gauche, scrutant le sol près de la piste. Elle s’arrêta enfin, ouvrant la bouche pour la première fois depuis leur départ : - C’est ici, dit-elle en désignant le sol jonché de brindilles écrasées. Actarus s’approcha. Mais il ne se préoccupa nullement du sol. Il fixa plutôt son regard sur Vénusia : - Donc, c’est ici… Et comment te sens-tu? Est-ce que ça va Vénusia? Elle haussa les épaules : - Je suppose… Actarus, je ne sais pas. Cet endroit n’évoque rien de spécial. C’est comme si… comme si c’était arrivé à quelqu’un d’autre... Ça n’a pas beaucoup de sens, je sais. Ce n’est certainement pas ce à quoi tu t’attendais en m’accompagnant ici. - Je ne sais pas à quoi je m’attendais au juste, Vénusia. Je croyais simplement que de revenir en ces lieux t’aiderais à te sortir de… ce qui te tracasse. Vénusia, oubliant le décor qui avait marqué sa mésaventure, semblait maintenant complètement concentrée sur ce que disait son compagnon. Il ajouta : - Il me semble que ça va moins bien depuis hier… - Tu es très gentil de te préoccuper de moi… dit-elle en hésitant. Actarus… Je voulais te dire merci pour l’autre jour. Si tu ne t’étais pas arrêté pour m’aider, j’aurais été obligée d’entrer dans l’école et… Perdant contenance, elle rougit en se tordant un peu les mains, fixant le sol d’un air embarrassé. - Et? l’encouragea le jeune homme. - Et j’aurais été le centre d’attention, j’aurais dû m’expliquer encore et encore. On m’aurait jugée, les rumeurs et les racontars se seraient déchaînés. J’aurais été une sorte de bête curieuse… Elle dut s’interrompre, sa voix s’enrouait, étranglée par un sanglot imminent. Actarus fronça les sourcils, alarmé par sa réaction et par la teneur de sa réponse : - C’est cela qui te travaille Vénusia? Le jugement des autres? Mais je suis certain que tout le monde… Mais elle ne le laissa pas poursuivre : - Non, tu ne comprends pas! C’est de ma faute ce qui est arrivé! Cette fois, la jeune fille avait craqué et ses yeux s’étaient remplis de larmes qu’elle n’arrivait plus du tout à réfréner. Actarus était sidéré : -Mais qu’est-ce qui te fait dire une chose pareille Vénusia? Elle se retourna, les bras serrés sur la poitrine, tentant vainement de lui cacher sa détresse : -C’est ce que tout le monde pense, c’est ce que la prof a dit… C’est sans doute aussi ce que dira mon père… Le jeune homme cru comprendre enfin où se situait le problème. Il s’approcha timidement de la jeune fille qui lui tournait encore le dos. Doucement, comme pour soigner une blessure, il dit : - Moi, je ne le pense pas. Mon père non plus. Et je suis certain que c’est aussi le cas de ton père… Comme elle ne répondait pas, il ajouta : - Vénusia… il ne faut pas te laisser abattre par les paroles de gens qui ne te connaissent pas et qui ne savent pas de quoi ils parlent. Cet homme, quel qu’il soit, a décidé de faire ce qu’il a fait, c’était son choix. Tu es la victime. Et ceux qui veulent rejeter la faute sur toi devraient plutôt se mêler de leurs affaires si tu veux mon avis. Elle conservait le silence malgré tout, les épaules rentrées, comme si, debout au milieu de ce sentier, elle voulait malgré tout se dérober aux regards. Actarus laissa ses paroles s’infiltrer lentement dans l’esprit de la jeune fille, n’osant pour l’instant rien ajouter de plus, attendant patiemment qu’elle se reprenne. Elle souffla enfin, d’une petite voix misérable : - Il y autre chose… Au début, je n’avais pas peur. Puis, j’ai perdu le contrôle… Quand tu m’as trouvée, j’avais perdu tous mes moyens… Je n’étais même plus en danger et pourtant je n’arrivais pas à me calmer… C’est si stupide! - Mais… c’est une réaction tout à fait normale, voyons! Ce qui compte le plus, c’est qu’au moment crucial, tu as parfaitement réagi en le mordant de la sorte. Tu n’as pas à avoir honte ainsi. Je t’en prie, je voudrais tellement que tu reprennes confiance… Lentement, la respiration de la jeune fille se fit plus calme. Il la vit essuyer furtivement ses joues et redresser les épaules avant de se retourner, un pâle sourire aux lèvres : - Merci Actarus. Tout ce que tu as dit est vrai, je m’en rends compte à présent. Je crois que je l’ai toujours su au fond de moi. D’habitude je ne me préoccupe pas de ce pensent les gens… C’est juste que… Je crois que je me suis laissée toucher par les paroles de cette femme. Je n’aurais pas dû. Actarus eut un petit sourire à son tour : - Non, tu aurais dû écouter ton cœur… Les joues de l’adolescente se colorèrent de nouveau et le jeune homme se maudit de son choix de paroles. - Euh, hum… peut-être devrions-nous retourner à la maison avant que ton père n’arrive, ne crois-tu pas? proposa-t-il pour changer de sujet. Il allait se remettre en marche lorsqu’une petite main se posa timidement sur son bras : - Actarus… Pendant un instant, la nature cessa toute activité, comme si les bêtes et les plantes portaient toute leur attention sur les deux jeunes gens qui se trouvaient, immobiles, le soleil pâle allumant des flammes fugitives dans leurs cheveux. Vénusia s’était emparée de la main de son compagnon, la lumière innocente de son regard cherchant prudemment le sien. Allait-elle oser aborder ce qui lui tourmentait l’esprit depuis que l’autre nuit, le professeur lui avait relaté le destin tragique de son fils? Plus elle le connaissait, plus elle appréciait sa douceur, sa gentillesse et son dévouement, plus elle le plaignait de ce sort qui avait fait de lui un apatride et un orphelin. Elle s’en voulait toujours d’avoir inconsciemment réveillé en lui les douloureux souvenirs qu’il avait sans doute pris des mois à enterrer. - Je voulais te remercier de tes paroles… Et puis m’excuser aussi… C’était si difficile à exprimer… Plus difficile encore depuis qu’il s’était retourné pour la fixer de ce regard d’azur qui la déstabilisait toujours. Elle poursuivit néanmoins, de plus en plus nerveuse : - Je sais que toute cette histoire te rappelle peut-être des choses que tu voudrais oublier. Tu n’en a que plus de mérite à vouloir m’aider comme tu le fais… Actarus crispait les mâchoires, à la fois touché, embarrassé et contrarié qu’elle mentionne ainsi ses propres malheurs. « J’aurais préféré que mon père ne lui dise rien à ce sujet, pensa-t-il.» Mais Procyon avait cru faire au mieux et Actarus en était conscient : - Vénusia, ne t’en fais pas avec cela. Je suis heureux, au contraire, d’avoir pu t’être utile. Et puis… Ses prochaines paroles prirent vie sans qu’il puisse rien y faire : - Et puis je suis chanceux d’avoir rencontré une amie telle que toi… Cela me fait beaucoup de bien d’être en ta compagnie… Rassérénée, elle lui offrit un sourire timide qui illumina son visage comme nouveau soleil. Ils reprirent ensemble le chemin vers la route principale, devisant agréablement du ranch et de la famille de la jeune fille. Ils étaient en vue de l’orée du bois quand Actarus s’interrompit en plein milieu d’une phrase pour courir vers la route. D’abord interdite, Vénusia le rejoignit rapidement. Elle s’arrêta, effarée. Actarus se tenait au centre de la chaussée, les poings serrés, le regard tourné au loin. Elle comprit immédiatement la cause de sa réaction lorsqu’elle chercha la moto du regard. Rien. Elle avait disparu. Commentaires ici*** Lady Oscar Lady Oscar *** |
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| Sujet: Re: Le sentier Mer 23 Sep 2015 - 1:32 | |
| Chapitre 6 Les yeux rivés au sol, ils cherchaient tous deux des traces. Vénusia, plus habituée à pister les animaux perdus dans la campagne fut la première à trouver quelque chose : - Regarde, dit-elle en montrant une faible marque sur le bas-côté. On dirait que les gravillons ont été projetés vers la gauche. Le voleur sera parti vers la droite à grande vitesse, selon moi. Actarus hocha la tête, légèrement impressionné par les conclusions de l’adolescente. - Je vais essayer de le retrouver, fit-il. On ne sait jamais, peut-être n’est-il pas encore trop loin. Retourne chez toi pendant ce temps. Il se disait que, sans la présence de la jeune fille, il pourrait utiliser plus librement certains de ses pouvoirs dans sa quête pour retrouver le voleur de moto. Mais Vénusia ne l’entendait pas ainsi : - Retourner chez moi? À pied? Non merci! Je préfère t’accompagner. - Mais cela pourrait être dangereux Vénusia! J’aimerais vraiment mieux que tu retournes au ranch, téléphoner à la police. - Le temps qu’elle arrive, ta moto sera loin. Et tu as bien vu que je peux t’être utile pour retrouver des traces. Il capitula. Elle disait la vérité. De plus, le chemin le plus court passait toujours par ce fameux sentier et le jeune homme n’était pas à l’aise de la laisser y retourner toute seule. Ils marchèrent de longues minutes dans la direction indiquée par les traces. La circulation automobile était plutôt rare en cette journée de congé. Au bout d’un long moment, Actarus aperçut un petit chemin de gravier qui quittait la route principale pour s’enfoncer de nouveau dans les bois. Vénusia lui lança un regard et hocha la tête pour lui signifier qu’elle l’avait remarqué aussi. Ils suivirent ensemble ce qui s’avéra être finalement une sorte de tracé entre les arbres, plus large qu’un simple sentier mais serpentant discrètement entre les arbres et les taillis du sous-bois. Ils avançaient en silence, choisissant d’instinct où poser les pieds pour faire le moins de bruit possible. Soudain, arrivée à la base d’une sorte de petite colline, la route se scinda en deux. Ils suivirent celle qui montait vers le sommet. Comme les arbres s’espaçaient, ils préférèrent se tenir à l’abri des quelques rares arbustes qui parsemaient le terrain, l’oreille aux aguets, avançant avec toujours plus de précautions. Tout à coup, Actarus qui regardait vers le bas de la colline, attrapa la main de Vénusia et la tira brusquement derrière le tronc d’un arbre tombé. Sans parler, il lui indiqua quelque chose. Là, en contrebas, on pouvait distinguer une sorte de petite cabane à moitié écroulée. Et devant se trouvait un vieux camion dont la benne était recouverte d’une grande bâche dont un coin était rabattu. Deux hommes transportaient des caisses provenant de la cabane pour les charger dans le camion. À l’intérieur de la remorque, ils distinguèrent la moto rouge d’Actarus. Vénusia sentit la main de son compagnon se crisper dans la sienne. Elle vit ses yeux se rétrécir et entendit sa respiration s’accélérer. Contre toute attente, ils avaient retrouvé les voleurs! Examinant les deux hommes, la jeune fille sentit soudain une boule se former au creux de son ventre et son pouls s’emballer. Dans ses souvenirs, une image jusqu’ici toujours demeurée floue se précisait soudain. De son côté, Actarus se concentrait sur la scène qui se déroulait à quelques mètres d’eux : - Quelle idée stupide de ramener cette moto! disait le plus costaud des deux voleurs. Et si la police a l’idée de vérifier le camion? L’homme avait une voix basse et rauque. Il portait une sorte de combinaison de travail bleue mais le jeune homme n’arrivait pas à distinguer son visage, caché par la visière d’une casquette noire qui lui couvrait également les oreilles. Plus inquiétant, il portait une mitraillette à l’allure un peu futuriste à l’épaule. L’autre comparse, plus petit, était vêtu d’un jean et d’une veste marron avec une casquette jaune. - Bah! Tu divagues! répondit ce dernier. Et puis il faut bien que je retire quelque chose de toute cette histoire! Avec ce que me paie ton patron… À ces mots l’autre jeta des coups d’œil inquiets autour d’eux : - Tais-toi imbécile! Tu sais très bien qu’il ne faut pas parler du chef… Et puis dépêches-toi. Il faut livrer tout ça avant ce soir. - Actarus… fit soudain la voix blanche de Vénusia. Il se retourna. Elle fixait les deux hommes d’un regard perçant, serrant les lèvres, tout son être trahissant une satisfaction et une sorte de détermination froide. - C’est lui. Avec la casquette jaune… - Je… est-ce que ça va? Mais la jeune fille était bien décidée à ne pas laisser la peur lui faire perdre ses moyens cette fois-ci. La présence auprès d’elle du jeune homme qui l’avait sauvée y était sans doute pour beaucoup. Elle se sentait plus rassurée de le savoir là et était déterminée de plus à ne pas se montrer lâche devant lui. Elle secoua la tête: - Ne t’occupe pas de moi. Qu’allons-nous faire? - Reste ici. Ne te fais pas remarquer. Je vais m’en occuper. Avant qu’elle ait pu protester, il s’était faufilé silencieusement, ombre parmi les ombres, vers le bas de la petite colline, se tenant toujours à couvert et bougeant avec une rapidité et une souplesse ahurissantes. Elle le perdit même de vue pendant un court instant. Inquiète, se sentant brusquement très seule, elle se tapit un peu plus derrière le tronc, priant pour qu’aucun des malfaiteurs ne l’aperçoive. Lorsqu’Actarus réapparut enfin, elle dut se mordre les lèvres pour ne pas crier de surprise et de crainte : il se tenait à quelques pas du plus grand des deux voleurs, dissimulé par un pan de mur écroulé de la bâtisse. Soudain, avec une vélocité sidérante, le jeune homme s’élança sur le bandit. Il lui arracha l’arme de l’épaule et l’envoya voler à plusieurs mètres de là. Elle dut retomber quelque part dans les fourrés mais pour Vénusia, tout ce qui importait, c’était le combat acharné que se livraient les deux hommes près du camion. Ils bougeaient tous les deux avec une vitesse si élevée qu’elle peinait à les suivre. Les coups pleuvaient de part et d’autre et plus d’une fois Actarus dut faire des bons prodigieux pour éviter un coup de pied de son adversaire. Pendant ce temps, Vénusia avait perdu l’autre de vue, celui qui portait une casquette jaune. Il lui sembla qu’elle l’avait vu disparaître de l’autre côté du camion mais elle n’en était pas sûre. N’y tenant plus, presque sans s’en rendre compte, elle quitta la relative sécurité de sa cachette et se faufila à son tour vers le lieu de la bataille. Comme elle allait contourner la cabane, elle entendit soudain des coups de feu. Terré derrière le camion, armé d’une carabine, l’homme à la casquette jaune tentait de canarder Actarus dès que l’homme en combinaison bleue s’en écartait un peu. Les deux protagonistes étaient cependant si rapides et l’autre semblait si nerveux que jusqu’à maintenant il ne parvenait pas à le toucher. Mais cela ne saurait tarder… La jeune fille sentit un urgent besoin d‘agir mais elle n’avait pas d’arme et elle doutait d’être assez rapide et forte pour le désarmer comme Actarus l’avait fait avec l’autre assaillant. Puis, elle avisa la portière du camion ouverte du côté du conducteur. Sans hésiter, elle s’élança. Commentaires ici*** Lady Oscar Lady Oscar *** |
| | | Oscar1965 L'ombre et la lumière de l'amour
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| Sujet: Re: Le sentier Jeu 24 Sep 2015 - 3:55 | |
| Chapitre 7 La situation était grave et les événements pouvaient basculer à tout moment. L’assaillant était rapide, agile et d’une force inquiétante. Et pourtant, Actarus exultait. Une sorte de jubilation presque douloureuse s’était emparé de lui lorsqu’il s’était rendu compte que son adversaire pouvait lui rendre coup pour coup. C’était anormal, c’était une énigme. Le jeune homme n’était pas sans savoir que les terriens ne possédaient pas les mêmes capacités physiques que lui. Depuis qu’il avait été recueilli, il avait dû apprendre à cacher ses habilités mais en cet instant, face à ce mystérieux ennemi, il se sentait libéré, puissant et débordant d’énergie. L’homme s’était rapproché, comptant sans doute piéger Actarus contre le mur à moitié écroulé de la cabane. Actarus recula, les sens en alerte, la poitrine en feu, aspirant l’air à grandes goulées. Soudain, un long couteau à la lame ondulée apparut dans la main de son opposant. Le regard fixé sur lui, le jeune homme chercha fébrilement une issue, une arme, n’importe quoi qui lui permettrait de reprendre le contrôle de la situation. - Qui es-tu? Tu n’es pas d’ici! lança-t-il, espérant le déconcentrer. Le sourire que l’autre lui adressa était d’une telle cruauté qu’Actarus en frissonna : - Je pourrais te poser la même question! Mais cela n’a aucune importance. Je vais me débarrasser de toi et j’en connais un qui en sera très content. - Ton chef n’est-ce pas? Qui est-il? L’homme cilla, interloqué que cet étranger lui pose ce genre de question. Il se figea un court instant. Actarus voulu s’élancer mais l’autre fut plus rapide et il se retrouva coincé contre les débris, en déséquilibre, les bras raidis dans un effort désespéré pour retenir l’étreinte d’acier du brigand qui se pressait contre lui, la lame déjà appuyée contre son ventre. *** Vénusia grimpa prestement dans la cabine du camion et referma la portière derrière elle d’un coup sec. Elle avait remarqué au passage que leur combat avait entraînés Actarus et l’autre homme hors de vue, derrière la bâtisse. Notant avec soulagement que les clés étaient dans le contact, elle démarra fébrilement, embrailla et, par réflexe, jeta un coup d’œil dans le rétroviseur. L’homme à la carabine, distrait par le bruit du moteur cessa subitement sa fusillade. Apercevant la jeune fille, il eut un sourire sardonique et leva son arme, le canon pointé dans sa direction. Vénusia baissa la tête et, résolument, appuya sur l’accélérateur. *** Actarus, les yeux plongés dans le regard froid de son assaillant, le fer sur le point de lui percer le ventre, se souvint des paroles de Vénusia : « Je n’avais pas peur. Au pire moment de ma vie, j’étais contrariée, fâchée mais je n’avais pas peur. » Soudain un fracas provenant de l’autre côté de la cabane, suivit d’un long cri rauque vinrent interrompre ses pensées. L’homme, surpris, relâcha un très court instant ses muscles. Actarus, se dégageant brusquement d’un coup d’épaule, s’élança et, dans un saut fulgurant, passa au-dessus de son adversaire qui se retrouva soudain face à un mur vide. Vif comme l’éclair, le jeune homme lui saisit le poignet et lui ramena son bras armé dans le dos. L’homme, empalé sur sa propre lame, s’écroula aussitôt. Actarus le vit se tordre un instant, sa respiration saccadée lui parvenant de plus en plus faiblement. Il voulut le retourner mais lorsqu’il se pencha sur le corps inerte, des flammes vertes jaillirent tout autour de lui. Actarus recula, effaré. En quelques secondes à peine, le cadavre disparut, ne laissant derrière lui qu’une étrange odeur de soufre. Subitement, toute énergie disparue, le jeune homme s’affaissa. Tombant à genoux, les épaules tremblantes, les doigts enfoncés dans le sol boueux de la forêt, il s’épouvanta de sa découverte : « Ce n’est pas possible! Pas ici, pas encore! Vais-je enfin un jour me réveiller de ce cauchemar! » Mais il fut emporté. À l’orée d’une autre forêt, dans une autre vie, à l’aboutissement d‘une autre bataille. Il portait ses habits de combat, une arme chaude d’avoir trop servi dans la main et les soldats abattus de l’envahisseur qui se consumaient l’un après l’autre autour de lui, emportant dans le ciel rougi d’Euphor les relents de soufre, seuls souvenirs de leur vie sacrifiée pour Véga. Il goûta de nouveau l’âcre saveur de sa propre bile… Une voix inquiète le ramena à la réalité : « Actarus?, est-ce que ça va? » Il avait fermé les yeux sans même s’en rendre compte. Il les ouvrit pour voir Vénusia, penchée sur lui, pâle et tremblante, une main posée sur son épaule. - Ou…oui. Ça va. Et toi? Elle hocha la tête. - Je vais bien. Actarus, où est l’autre voleur, celui avec lequel je t’ai vu te battre tout à l’heure? - Il est… parti. Je ne crois pas qu’il va revenir. Enfin complètement sorti des brumes obsédantes de la fin de son combat, Actarus se souvint soudain de ce qui avait déclenché cette bataille : - L’autre! Le deuxième bandit! Celui qui… Il n’osa pas poursuivre mais saisit Vénusia par les bras, soudain inquiet : - Où est-il? T’a-t-il… Mais la jeune fille secoua la tête : - Non. Je vais bien je t’ai dit. Quant à l’autre, je ne crois pas qu’il nous causera encore des soucis. Elle l’entraîna vers le camion situé de l’autre côté de la cabane. Le deuxième homme, qui avait tout déclenché par le vol de la moto, était étendu au sol, les yeux clos. Il gémissait faiblement. Actarus remarqua alors la carabine que Vénusia tenait dans la main. - Qu’est-ce qu’il a? Que s’est-il passé? dit-il, effaré. - Il te tirait dessus avec ça, répondit-elle d’une voix monocorde, en montrant ce qu’elle tenait à la main. Je lui ai reculé dessus avec le camion. Je pense qu’il a quelque chose de cassé… Actarus la fixa, abasourdi. Il comprenait soudain la source du bruit qui avait fait basculer le combat en sa faveur. Impressionné, ému, il déclara : - Tu m’as sauvé la vie… Je… Merci Vénusia. Elle rougit, soulagée et honorée à la fois. « Oui, pensait-il, tu m’as sauvé la vie deux fois… Et tu ne le sauras jamais. » *** « Et qu’avez-vous fait ensuite? » Le professeur Procyon versait le thé tout en interrogeant son fils. Ce dernier lui donnait la version véridique des faits et non pas celle, tronquée et édulcorée qu’il avait dû servir à Vénusia puis à la police et finalement à Riguel même. Le père de la jeune fille avait écouté le tout avec force commentaires et interruptions saugrenues qui avaient finalement mené le jeune homme à la conclusion que le bonhomme était légèrement dérangé. - À deux nous avons déchargé la moto. Puis, pendant que Vénusia était occupée à vérifier l’état de santé de notre prisonnier, j’en ai profité pour jeter un coup d’œil sur les caisses qui se trouvaient dans le camion. Il but lentement une gorgée du thé brûlant, cherchant à retarder la fin de son récit. - Actarus, insista son père, dis-moi, qu’y avait-il à l’intérieur? - Des armes… des dizaines de mitraillettes comme celle que mon inconnu portait… Je les ai reconnues, père. C’était le même type d’armes que portaient jadis les soldats de Véga. Procyon hocha la tête, le regard sombre : - Avec ce que tu m’as raconté sur ton inconnu, je ne suis pas surpris. Un espion de Véga donc… Actarus acquiesça sans un mot. Il n’avait pas cessé, depuis cet après-midi, de songer à son devoir. Il se leva, résolu, déjà préparé aux conséquences. S’approchant de la fenêtre, il admira une fois de plus le ciel piqueté d’étoiles si peu familières encore de cette planète. Le mot résonnait toujours dans la pièce, telle une malédiction: « Véga » Umon contempla tristement son fils. Il avait voulu lui sauver la vie, lui offrir un avenir meilleur et le protéger pour toujours de ses démons. Et voilà qu’ils ressurgissaient ici pour le tourmenter de nouveau et réclamer peut-être une revanche sur le passé. Il aurait dû s’inquiéter pour l’avenir de la Terre, pour cette planète bleue qui, jusqu’à maintenant, n’avait pas connu les affres causées par un envahisseur extra-terrestre. Mais il ne pouvait pour l’instant que se désoler pour cet enfant de son cœur qui n’allait plus connaître le repos. Dans son antre, au sein d’une grotte artificielle creusée sous les installations du Centre, attendait la machine fabuleuse, le monstre de lumière et d’acier qu’il allait falloir, peut-être, réveiller d’un bien trop court sommeil. Commentaires ici *** Lady Oscar Lady Oscar *** |
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| Sujet: Re: Le sentier Sam 26 Sep 2015 - 13:33 | |
| Chapitre 8 En guise de remerciement pour avoir pris soin de sa fille pendant son absence, Riguel organisa quelques jours plus tard un petit souper pour le professeur et son fils. Il cuisina d’excellentes brochettes sur le barbecue et s’avéra finalement être un hôte assez distrayant avec des anecdotes sur son passé de cow-boy aux États-Unis. Au fil de la soirée, Actarus réussit à se détendre et à oublier un peu les récents événements. La campagne s’endormait doucement alors que Riguel préparait les digestifs et que ses deux enfants finissaient de tout ranger. Ce repas, finalement, avait été un merveilleux prélude à l’été. Umon en profita pour entraîner son fils sur la terrasse, loin des oreilles indiscrètes. La journée avait été chargée et les deux hommes n’avaient pas encore eu un moment pour discuter en privé : - Actarus, je me suis renseigné à la police. Il semblerait que l’homme que vous avez capturé se mure maintenant dans un silence absolu. Il refuse de dévoiler pour qui il travaillait exactement et à qui étaient destinées ces armes. De toute façon les policiers pensent qu’il ne savait pas grand-chose, qu’il n’était qu’un petit exécutant. - Comment pouvait-il ne rien savoir? fit Actarus surpris. Il a été découvert avec l’autre et… Procyon l’interrompit : - Pour deux raisons, mon fils. Premièrement, il ne possédait qu’une simple carabine lors de votre confrontation. Je ne crois donc pas que son complice lui faisait entièrement confiance. Et surtout… c’est un humain. Actarus en resta bouche bée : - Quoi? finit-il par articuler. Un humain? Pas un homme de Véga? - Un homme tout ce qu’il y a de plus normal. Un petit malfrat sans envergure… Et comme Vénusia l’a déjà identifié comme étant son agresseur, il sera au moins accusé pour cela et recevra une sentence appropriée… Actarus garda le silence un moment. Puis il répondit, d’un ton amer : - Donc nous n’apprendrons rien de plus de ce côté. - J’en ai bien peur. Il faudra patienter et rester sur nos gardes. - Et nous préparer, ajouta le jeune homme. Ils seront de retour. Ils sont peut-être déjà ici, à tisser leur trame en vue d’une invasion. Père, j’aimerais… j’aimerais que nous discutions de Goldorak. Il faudrait qu’il soit plus facile à sortir de sa cachette qu’il ne l’est en ce moment. Je voudrais pouvoir m’en servir rapidement si un jour… Procyon plongea son regard dans celui de son fils : - Tu en es sûr? Je sais à quel point cette machine te rappelle de mauvais souvenirs… Actarus se perdit un instant dans la contemplation des ombres de plus en plus profondes qui représentaient les bâtiments de la ferme, les arbres et les collines. Il tendit son visage au vent frais et odorant et se régala des bruissements mystérieux de cette paisible nuit naissante. Enfin, il trouva les paroles appropriées : - Père, je me sens de plus en plus terrien. Toi… et cette planète m’avez accueilli sans rien me demander en retour. Je ne laisserai pas ces monstres nous conquérir et détruire toute cette beauté comme ils l’ont fait avec Euphor… Jamais. Il regarda posément cet homme qui était devenu son ancre sur cette planète, avant d’ajouter : - Alors, oui, j’en suis sûr. Procyon hocha la tête, il s’en était douté mais avait voulu connaître malgré tout jusqu’où allait la détermination de son fils. Maintenant, il savait. Cela impliquait le risque très concret que son fils soit tué un jour. Cette révélation lui fit monter les larmes aux yeux. Il fixa sans rien dire le jeune homme, la gorge nouée par une infinie tristesse. Troublé, Actarus, qui tentait vaillamment de garder le contrôle de ses émotions, se détourna enfin en ajoutant : - Excuse-moi, père, j’ai besoin d’être seul un moment. Alors que le jeune homme s’éloignait dans le noir, il lui sembla entendre la voix de Procyon qui murmurait : « Actarus, les cicatrices montrent d’où nous venons. Elles ne doivent pas nous dicter ce que nous allons devenir. » *** Les ombres avaient laissé place au voile opaque de la nuit. La lune s’était levée mais se cachait encore derrière les nuages. Vénusia était partie à la recherche de son nouvel ami. Elle ne le trouvait nulle part et commençait à s’inquiéter lorsqu’elle s’arrêta soudain, interdite : une étrange et triste mélopée lui parvenait, portée par la brise. Fascinée, elle s’avança à pas feutrés vers la source qui semblait se trouver quelque part dans le petit bois qui donnait son nom au ranch. C’était une chanson dans une langue inconnue, un air étrange et envoûtant, porteur d’une infinie mélancolie. Ne désirant pas en briser la magie, elle se tint immobile, ombre parmi les ombres, et en savoura anonymement la mystérieuse beauté jusqu’à ce que la dernière note se soit étouffée dans un sanglot. Alors, elle s’avança. Il était là : assis parmi les spectres argentés des troncs élancés. Les genoux relevés, il avait le front appuyé sur ses paumes, son accablement si poignant que le cœur de la jeune fille se serra, comme le soir de leur rencontre, lorsqu’elle avait surpris ses pleurs éperdus dans la nuit. Elle s’approcha et s’assit souplement à côté du jeune homme avant de simplement lui toucher la joue. D’un geste compatissant, elle essuya une larme échappée par ce regard bleu, d’une profondeur insondable et déchiré de détresse. Ces deux miroirs énigmatiques qui, dès le début, avaient bousculé l’innocence de son âme de jeune fille. Sans un mot, elle glissa ses doigts entre les doigts glacés d’Actarus. Comme au premier jour de leur étrange amitié, lorsque le contact de sa tête contre le dos du jeune homme avait calmé ses angoisses, elle laissa ce simple toucher lui communiquer à son tour un peu de force et de sérénité. Le vent avait repris la chanson tout à l’heure fredonnée et les feuilles qui leur servaient de toit en murmuraient la mélodie. Soudain Vénusia releva la tête : apporté par la brise, elle avait perçu un autre bruit, quelque chose qui lui fit d’abord froncer les sourcils avant de faire naître un tendre sourire sur ses lèvres. Elle se releva et dit, sans lâcher la main de son compagnon : « Viens » Actarus se laissa faire, encore sous le coup des émotions qu’avaient fait naître en lui les paroles de ce chant ancien venu de la lointaine Euphor. La jeune fille l’entraîna vers l’un des enclos qui entouraient la propriété. La lune apparaissait enfin, débarrassée de son manteau de nuages, lorsqu’il aperçut la jument baie piétinant impatiemment, piaffant et hennissant par petits coups sous les pâles rayons. Vénusia enjamba facilement la clôture et marcha vers la bête, lentement, les paumes ouvertes : « Alors, c’est maintenant qu’il arrive ma belle? Oui… oui, là, tout doux. Tout ira bien, tu verras… » L’animal sembla se calmer au son de cette douce voix familière. Actarus, sans s’en rendre compte, avait retenu son souffle. Au bout d’un petit moment, la jument se laissa caresser la tête par la jeune fille qui continuait à lui murmurer des paroles d’apaisement. Elle promena ses mains sur le ventre gonflé de l’animal qui, à la surprise du jeune homme, se laissa faire sans broncher. Puis, un peu gauchement, le cheval se laissa choir sur le côté, dans l’herbe haute de l’enclos. Vénusia s’accroupit auprès d’elle et lança un drôle de regard vers le jeune homme, écho d’un défi qu’il lui avait lancé quelques jours plus tôt : « Alors, tu viens? fit-elle.» Actarus se retrouva, assit au sol auprès de la jument en travail, n’osant pas la toucher, fasciné, subjugué par la scène qui se déroulait sous ses yeux. Un instant suspendu, volé à l’écoulement inexorable du temps… Une frêle jeune fille qui chuchotait des mots sans suite en caressant les flancs d’une bête entraînée par le courant inéluctable de la nature vers l’aboutissement de sa grossesse. Enfin, la voix de Vénusia s’éleva : « Voilà… c’est presque fini… Encore un petit effort ma douce… Tu y es presque… » Le poulain, frêle, pâle et incroyablement fragile aux yeux d’Actarus, se leva malgré tout avec une stupéfiante facilité. La jument, tournée vers lui, fit patiemment la toilette du petit qui se précipita avec vigueur sur les mamelles de sa mère. Un lambeau de la poche qui l’avait protégé jusqu’à sa naissance lui couvrait encore le dos, telle une couverture argentée. - On dirait un fantôme... murmura le jeune homme, ouvrant la bouche pour la première fois depuis très longtemps. Vénusia acquiesça : - Un jeune fantôme avec une cape toute brillante comme celle d’un prince. Pour une raison qu’elle ne comprit point, Actarus contempla le petit avec un sourire triste. Alors elle se lança : - Actarus… Nous avons besoin d’aide ici, au ranch. Mon père est d’accord pour t’employer si cela t’intéresse. - Quoi? Moi? Mais, Vénusia, je n’y connais strictement rien au travail de ferme! - Tu apprendras! dit-elle, sans oser le regarder dans les yeux. Je suis certaine que tu en es capable. Le jeune homme se rappela soudain son premier jour ici : le bien-être qu’il avait ressenti après une dure soirée de travail en plein air, à soigner ces bêtes qu’il connaissait à peine. Il observa le tableau attendrissant de la mère et de son poulain niché au creux de son cou. « Sa vie débute, pensa-t-il. Peut-être trouverai-je, moi aussi, une sorte de commencement ici? » Une voix vint interrompre sa rêverie : - Actarus… Le petit aura besoin d’un nom. Comment devrions-nous l’appeler? - Mais, je ne sais pas! Vénusia… - Choisis le nom que tu veux! Ce sera… Elle hésita puis trouva enfin en elle le courage de planter son regard dans ces yeux si troublants : - Ce sera mon cadeau… pour m’avoir sauvée l’autre jour et pour m’avoir donné le courage de faire face à ces mauvais souvenirs… Je t’en prie, accepte-le. Trouve-lui un nom et nous l’élèverons ensemble. L’âme du jeune homme, si longtemps restée dans la froideur de ses souvenirs, se réchauffa à ces paroles. Il observa encore un moment les deux chevaux avant de conclure en caressant le poulain blanc avec un petit sourire : - Que penserais-tu de Vif Argent? La lune coulait ses rayons sur le dos toujours recouvert du jeune animal. Vénusia emmêla se doigts dans la courte crinière d’ivoire avant de répondre : - Je crois que ce sera parfait. On dirait presque… le nom du cheval d’un prince de conte fée! Au firmament, la lune, aussi ronde qu’un fruit mûr, se teintait lentement de rouge. Fin Commentaires ici *** Lady Oscar Lady Oscar *** |
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