On ne vit que deux fois
de Lady Victoire
« On a deux vies, et la deuxième commence quand on se rend compte qu’on n’en a qu’une. »
Confucius
Il y eut un matinLes rayons du soleil matinal filtraient à travers les persiennes, éclairant d'une douce clarté les quartiers du Colonel des Gardes Françaises. L'audacieuse clarté allait même jusqu’à caresser de son halo délicat la couche spartiate du locataire des lieux, pour l'heure encore profondément endormie. Son dos se soulevait doucement, au rythme de sa respiration régulière. La couverture avait glissé, révélant la nacre de son teint, le velours de sa peau. Pour une fois elle avait bien dormi, loin du tumulte des rues parisiennes, des consignes du général de Bouillé et des rude nécessités de la vie militaire.
Toutefois elle n'était pas seule. Ceci expliquait peut-être cela, d'ailleurs. Sa sérénité, ce sommeil apaisé et réparateur. Etendu à ses côtés, un jeune homme brun, aux mèches folles léchant ses épaules, le torse nu émergeant des draps, le regard émeraude respirant le bonheur, la paix et la longanimité, se délectait visiblement de la nuit passée dans les bras du Colonel de son cœur, prenant plaisir à la contempler sans l'éveiller.
L'air rêveur, André caressa délicatement la tendre courbe du dos d'Oscar. Les sensuelles boucles blondes éparpillées sur la peau fine et veloutée, la douceur des formes, la blanche carnation, le délicat parfum de ce corps de femme, tout le ravissait dans ces merveilles jusque-là seulement entrevues sous les rudes étoffes militaires.
A part une fois.
La seule fois où...
Il ne voulait pas y penser. Plus maintenant. Il avait lavé dans ses bras et entre ses draps l'affront qu'il lui avait fait jadis, dans une autre vie, dans le secret de sa chambre de jeune fille. Mais désormais ses rêves les plus fous s'étaient faits réalité. Elle s'était enfin déclarée la veille – une éternité pour André, un souffle de temps pour elle – et ils s'étaient passionnément donnés l'un à l’autre au cours de la nuit.
Inspirant profondément, son sourire inaltérable aux lèvres, la main perdue dans la chevelure dorée de la jeune femme toujours endormie, André radieux, songea à la manière dont tout avait commencé, quelques semaines auparavant...
Il y eut un soirCela faisait un petit moment qu'Alain étudiait Oscar, ce colonel si étrange, au regard sibyllin, à l'expression pleine d'un insondable mystère. Il avait suivi son regard lorsqu’elle observait André lors des entraînements. Un regard étrange, troublé, presque...féminin. Cela ne laissait pas d'intriguer le sergent de Soissons. Certes, la véritable nature de leur colonel leur était connue depuis longtemps, mais Oscar-François de Jarjayes n'avait jamais jusqu’alors laissé poindre ces sentiments et émotions que l'on pouvait rattacher à son sexe comme auraient pu le croire ses hommes. Nul affect, nulle faiblesse, nulle larme, rien de tout ce que les hommes attribuent volontiers aux femmes et dont leur colonel semblait dépourvu. Alors, ce jour-là, lorsqu'il avait vu les yeux océan d'Oscar suivre presque languissamment la silhouette masculine du grenadier Grandier, les joues légèrement empourprées d'un voile coloré qui ne devait rien à la froidure du jour puisque ce début de printemps 1789 était très doux, Alain avait rapidement flairé quelque histoire croustillante à se mettre sous le foulard. D'un côté, un ami et compère roturier, borgne et malheureux comme la pierre, mais bâti comme un dieu et dont il connaissait l'amour impossible pour une personne qui n'était pas de sa caste. De l'autre, un trop beau colonel androgyne, à qui son éducation avait renié sa nature de femme pour l'enfermer dans le carcan des obligations militaire, et qui se trouvait pour l'heure manifestement troublée par son soldat. Oui, à n'en pas douter, il y avait là matière à quelque romance. Non qu'Alain fût de nature extrêmement romanesque. Ses relations avec les femmes étaient plus directes, et dépendaient souvent de ce qu'il pouvait monnayer le soir, après quelques chopines, échangeant une partie de sa solde contre des amours tarifées. Point de sensualité, point de romantisme et de toutes ces fadaises. De l'action, encore de l'action, toujours de l'action, et une foule de conquêtes à hauteur de son sens de la répartie, de la lueur espiègle de ses yeux marron et de la somme d'argent qui lui restait après avoir éclusé quelques bières. Mais pour être direct, le sergent de Soissons n'en était pas moins un ami fidèle, et un soldat reconnaissant, et les sentiments d'André l'avaient ému. Il avait vite compris, aux regards énamourés de son compère, que cette dame inaccessible qui lui avait volé son cœur n'était autre que le colonel de Jarjayes, entré aux Gardes françaises pour s'éloigner de la Cour et de ses faux-semblants. En outre, l'attitude d'Oscar depuis qu'elle avait pris le commandement de la caserne le surprenait chaque jour un peu plus. Il lui paraissait loin, le temps où il l'avait traînée dans la cour, jetée sans ménagement sur le sol et forcée à relever le gant dans un duel dont lui-même avait éprouvé avec une joie mêlée de stupeur l'âpreté et la fougue. Non, ce temps-là était révolu. Plus les jours passaient, plus il admirait – oserait-on dire appréciait ? – son colonel. Par reconnaissance et par amitié, il s'était donc promis d'aider ces deux-là à se trouver.
C'est ainsi qu'un soir, il avait réuni les hommes dans le dortoir, après s'être assuré de l'absence d'André, en permission, et d'Oscar, convoquée chez le Général de Bouillé.
« Alors Alain, qu'est-ce que tu nous veux ?
– Ben oui quoi, qu'est-ce qu'il y a ? On jouait aux cartes et Durand allait encore tout rafler, enfin, c'est du sérieux ! »
Les soldats s'approchaient en renâclant de la table où s'était perché Alain, orateur improvisé.
« Les amis, l'heure est grave, j'ai un service à vous demander, annonça le sergent.
– Ah ouais ? Et pourquoi on te rendrait service ? Rétorqua l'un des grenadiers.
– Parce que je suis votre chef et... Diable, laisse-moi parler, Dupond avant de la ramener ! Bref, c'est à propos d'André...
– Grandier, qu'est-ce qui lui arrive, compatit Lassalle, très attaché à André, qu'il considérait presque comme son grand frère.
– Hé bien voilà... »
Alain triturait son foulard rouge. Parler en public ne lui posait d'ordinaire aucun souci, mais pour des affaires de cœur, inexplicablement, voilà que son éloquence commençait à lui faire défaut. Il se racla la gorge et reprit :
« André est... André est amoureux. »
Un grand éclat de rire accueillit cette nouvelle. André ? Le borgne ? Amoureux ? Mais quelle fille l'accepterait tel qu'il était ? Si Alain voulait se mêler de jouer les marieuses, il aurait pu commenc er par se faire la main sur une proie plus simple et plus facile à caser. Ce bellâtre taiseux qui ne vivait que par et pour le colonel... Et il écrivait par-dessus le marché ! Il tenait un journal ! Avait-on idée ?...La belle affaire ! D'autres toutefois ravalaient leurs sarcasmes, admettant que ledit Grandier, pour être borgne, n'en était pas moins bel homme. Bien bâti, au regard d'absinthe, grand, intelligent, instruit, fidèle en amitié cmme le montrait sa relation avec Alain, et doté d'un indéfectible courage, il avait su, après des début musclés, faire sa place au sein du casernement et beaucoup l'admiraient, tout en l'enviant un peu en cachette.
« Donc je disais... André est amoureux... du Colonel... » continua Alain.
La bombe était lâchée. André ? L'ancien valet du Colonel ? Amoureux de cette planche à pain froide et sèche ! Mais elle n'avait rien d'une femme ! Certes elle avait gagné leur estime, par ses qualités humaines, sa générosité, sa loyauté et son sens de l'honneur et de la justice, mais de là à vouloir la mettre dans son lit, il y avait une sacrée marge... Ces aristos et ceux qui les cotôyaient avaient décidément de drôles de goûts.
« Et si je suis ton raisonnement, hasarda Maurois, tu voudrais qu'on fasse... enfin qu'on aide André à... conquérir le cœur du colonel ?
– Hum... »
Alain se gratta la tête. Il fallait décidément tout expliquer aux gars, qui n'avaient apparemment rien vu ni rien compris
« Oui. Enfin non. En fait c'est un peu plus compliqué. A mon avis notre Colonel en pince aussi pour André... mais elle n'ose pas franchir le pas » déclara Alain.
Maurois se tapa vigoureusement sur la panse.
« Mouahhh ! Donc ell » a besoin qu'on lui ouvre les yeux sur le beau gars qui se trouve à ses côtés et qu'elle ne voit pas ? C'est pas Grandier qui est borgne, c'est elle ! Et d'après toi, c'est nous qui allons l'aider à la mettre dans son lit, c'est ça ?
– Tout en délicatesse se renfrogna Alain. Oui enfin je pensais à … un peu plus de... romance, enfin si vous voyez ce que je veux dire.
– Toi Alain, nous proposer de la romance ? Tu es malade ? Tu as pris froid dernièrement ? Tu as mangé un truc pas très frais ?
Et les soldats de s'esclaffer de plus belle.
Cahin caha, l'idée semblait quand même faire son chemin dans le crâne des grenadiers. Les idées les plus farfelues fusèrent, plus ou moins grivoises d'ailleurs. L'un proposa d'enfermer les deux protagonistes dans l'armurerie jusqu'à ce qu'amour s'ensuive. Un autre suggéra de faire boire Oscar pour que l'alcool finisse par lui délier la langue. Un autre encore se prit à fantasmer sur la manière dont leur supérieure porterait la robe – un bal Alain, pourquoi ne pas organiser un bal avec nos familles ? Et Alain eut toutes les peines du monde à lui faire abandonner cette idée, ruineuse et stérile... Quoique... Oscar en robe... Le regard du sergent de Soissons se fit rêveur... Allons reprenons... – . Un dernier suggéra de mettre en place un jeu de la bouteille tournante pour que le froid Colonel soit contraint d'avouer au grand jour ses sentiments pour son grenadier. Tout ce petit monde semblait en tout cas s'amuser follement, exception faite de deux ou trois soldats, ostensiblement appuyés contre la cloison du baraquement et dont l'air renfrogné ne laissait aucun doute sur leur opinion.
« Alors les gars, on ne se sent pas concernés ? » lança Alain.
On se récria prestement depuis le fond du dortoir. Dumoulin se fit le chantre des mécontents. Pourquoi diable s'ocuper des affaires de coeur d'un nobliau ? Le peuple crevait de faim, la royauté partait à vau-l'eau, les rues de Paris se voyaient envahies de mendiants venus chercher fortune en ville après avoir quitté leur campagne, et de femmes que la misère contraignait à la prostitution, et Alain leur proposait de jouer les Cupidon ? Quelle idée saugrenue !
Alain apostropha sèchement le récalcitrant.
« Hé l'ami, comme tu y vas ! Songe une seule seconde que ce nobliau comme tu l'appelle nous a mieux traité que l'ensemble de nos précédents commandants. Il ne se passe pas un seul jour sans qu'elle nous témoigne son respect. Pense à la libération de Lassalle, pense à ta propre pitance si tu n'es pas capable de voir plus loin, à ton assiette bien mieux remplie qu'avant, à ta solde doublée, à tes permisssions enfin respectées même si nous n'en avons pas tant que ça. Et pense que tout cela, tu le dois à une seule personne... »
Un grognement peu convaincu accueillit cette diatribe. L'affaire s'annonçait délicate
Les jours d'aprèsBon gré mal gré, les soldats avaient fini par jouer le jeu, s'évertuant à transformer le casernement en agence matrimoniale. Toutes les occasions étaient bonnes, et certains firent même preuve d'une surprenante imagination. Sans doute quelques soldats projetaient-ils sur cette histoire en devenir leur propre soif d'une vie plus calme. Comme si, en insufflant une dose de romantisme au sein de la caserne, ils adoucissaient leur existence sombre et rude de roturiers sans le sou.
En cela, on ne pouvait leur en vouloir, quelles qu'aient été leurs motivations.
D'autres agissaient par reconnaissance envers Alain, au charisme incontesté, ou par amitié envers André, montrant ainsi qu'il avait finalement su se faire une place auprès des rustauds des Gardes françaises.
Ce faisant, ils avaient compris l'importance des liens d'amitié au sein de la caserne et méritaient d'en être félicités.
D'autres enfin y voyaient également leur intérêt : servir Alain pourrait leur être profitable, sait-on jamais. Une forme d'obséquiosité guidait leurs actes et ils sauraient le temps venu monnayer leurs services. Quelques-uns subodoraient en outre qu'un colonel amoureux était un colonel faible, malléable, en un mot que l'amour adoucirait le tempérament d'Oscar et polirait les aspérités de son caractère.
Ils étaient en tort.
Certains enfin, qui n'avaient jamais vraiment accepté le colonel Oscar-François de Jarjayes, pensaient que si elle trouvait chaussure à son pied en la personne d'André, elle quitterait la caserne avec armes et bagages pour jouer le rôle de la parfaite petite femme d'intérieur aux côtés de son grenadier.
En cela ils se trompaient, pour sûr.
Quoiqu'il en soit, chacun y allait de sa petite trouvaille, ce qui anima singulièrement pendant un temps le quotidien des Gardes françaises.
Avec la finesse qui le caractérisait, le dénommé Jules Rosselois s'était mis en tête de distraire le colonel Oscar en soulignant, en ce début de printemps, les manifestations les plus ostensibles de l'instinct de vie dans la nature qui les entourait. Il lui signalait ainsi, l'air de rien, un couple d'oiseaux qui volait pendant les exercices, deux chats qui ronronnaient et feulaient, le matou voulant à toute force conquérir la damoiselle, ou soulignait le caractère impétueux et fougueusement mâle des chevaux face aux juments dans les écuries de la caserne.
Cette attitude, destinée à montrer à Oscar que l'amour et ses manifestations diverses et variées étaient dans l'ordre des choses, n'était guère prisée du colonel. Oscar pestait contre cet amoureux de la nature et des animaux sans paraître comprendre les sous-entendus pourtant évidents, voire ostensiblement grivois, et ne laissait pas de manifester sa désapprobation. Cela valut ainsi au grenadier Rosselois les remontrances de son supérieur, quelques estafilades bien senties puisqu'il se mêlait de formuler ses remarques en plein duel au mépris de la plus élémentaire sécurité, et parfois même une semaine de consigne pour avoir sciemment perturbé les entraînements et mis en danger la sécurité de ses compagnons.
Un peu plus délicat, le grenadier Dupont n'hésita pas à user d'un stratagème plus personnel. Il vint en personne annoncer au Colonel son prochain mariage, vantant la douceur de l'union matrimoniale et de l'hymen entre deux cœurs sincèrement épris l'un de l'autre. Avec un touchant et naïf romantisme, il se mit en peine de lui lire les vers qu'il avait composés pour sa fiancée. Fervente admiratrice des tragédies de Racine, Oscar supporta stoïquement les alexandrins mal fagotés, les rimes plus que pauvres et les images qui n'avaient de poétique que le nom. Elle jura en souriant d'un air crispé qu'elle souhaitait le plus grand bonheur à son soldat et lui octroya bien volontiers deux jours de congé pour que ses compositions arrêtent de lui écorcher les oreilles, le tout sous les gloussements des autres grenadiers hilares qui se poussaient du coude en regardant la scène d'un œil narquois.
Moréas avait tenté quant à lui de vanter les qualités d'André auprès de sa supérieure. A tout moment, il ne tarissait pas d'éloges sur son compère. Beau comme un dieu, habile à l'épée au point de ne soutenir la comparaison qu'avec leur Colonel, d'une gentillesse et d'une bienveillance à toute épreuve, y compris lorsqu'il devait arbitrer les duels entre ses compagnons, et généreux avec ça lorsque la troupe sortait dans les tavernes, sans pour autant verser dans la grivoiserie puisqu'on ne lui connaissait aucune maîtresse et qu'il ne perdait pas son temps ni son argent avec les filles de joie. Ah la fidélité, il n'y a que ça de vrai, clamait haut et fort le grenadier, avant que d'ajouter que s'il était une femme il ferait bien son ordinaire du beau soldat brun aux yeux émeraude, s'attirant par là d'explicites quolibets de la part de ses camarades peu enclins aux amours contre nature.
Alain quant à lui regardait d'un air goguenard et intéressé se démener tout ce petit monde. Oh bien sûr, il avait à peu près compris les tenants et aboutissants qui commandaient les motivations des uns et des autres, mais l'essentiel était d'avancer. A la caserne comme à la caserne – une version un tantinet plus pacifique du célèbre dicton – .
Il attendait son heure.
Il attendait le moment où tous ses hommes auraient tenté avec plus ou moins de succès de convertir l'autstère colonel de Jarjayes aux atouts de la félicité conjugale.
Il attendait que chacun, dans la mesure de ses capacités, polisse le terrain, ouvre la voie, gomme les aspérités pour pouvoir terminer le travail.
Il attendait le moment de sortir son atout maître.
Et, en patientant, il le reconnaissait bien volontiers, il s'amusait comme un gamin de voir les stratégies naïvement touchantes de ses soldats.
C'est dans cette posture de contemplation béate et hilare tout à la fois qu'André le surprit un beau jour, accoudé à la fenêtre du dortoir, regardant avec une moue tordante le soldat Leroy qui tentait désespérément de faire un baise-main à son Colonel. Ce grenadier pensait – et sans doute n'avait-il pas tout à fait tort – que pour accepter d'ouvrir son cœur à André, Oscar devait commencer par assumer sa part de féminité, ce qui n'allait bien évidemment pas sans force rebuffades. Ledit colonel se rebiffant en effet comme il se doit, lui avait allongé une magistrale taloche qui l'avait étendu derechef sur le sable de la place d'armes. Se ravisant, elle avait ensuite dévisagé son grenadier, qui semablait malheureux comme la pierre, et lui avait tendu la main pour l'aider à se relever sans pour autant cesser de l'agonir de reproches sur cette attitude peu conforme à son rang. Leroy allait en être quitte pour une semaine de consigne au casernement. Il prit la direction du réfectoire en grognant contre les initiatives d'Alain, contre ce Colonel atypique et contre ce sol si dur dont ses pauvres lombaires portaient encore la trace.
« Haha, qu'il est drôle, s'esclaffa Alain.
– Qu'est-ce qui te rend si joyeux Alain ? »
L'oeil d'émeraude scrutait le sergent au foulard rouge, inquisiteur.
« C'est... C'est Leroy. Il s'est fait rabrouer par Osc... enfin par le Colonel, c'est impayable, gloussa Alain.
– Et pourquoi Oscar aurait-elle fait ça ? Rétorqua André. Leroy est un bon soldat et elle n'a guère l'habitude de punir à tort et à travers.
– C'est que euh... hésita Alain.
– Alors quoi ? Insista André, sentant bien qu'il y avait anguille sous roche.
– C'est rien, marmotta Alain, embarrassé, en triturant son foulard rouge et en se grattant la tête comme il le faisait dans les moments de grande réflexion.
– Toi, tu me caches quelque chose, je le sens, reprit André. Allez, dis-le moi donc ou je questionne les gars ! »
Alain jeta à André un regard précautionneux.
« Tu... tu ne vas pas te fâcher ?
–Me fâcher contre toi ? Haha, la bonne blague ! Vous m'avez déjà passé à tabac, je sais fort bien l'effet que ça fait et je ne me remettrai sûrement pas les gars à dos sauf si...
– Sauf si..., interrogea Alain.
– Sauf si vous attentez de quelques manière que ce soit à l'honneur d'Oscar. Ce serait la seule raison qui me ferait me dresser contre toi, contre vous tous. »
L'oeil d'André étincelait d'une lueur résolue.
«Allons bon, soupira Alain... Je te dois quand même une explication. Tu as sans doute remarqué que les hommes sont...
– Un peu curieux en ce moment, compléta André. Oui je sais. Ce que je ne sais pas, c'est la raison de ces agissements bizarres. Je sais bien que l'arrivée du printemps chamboule souvent les comportements mais là, ça dépasse tout !
– C'est...Hé bien... »
Alain se gratta la tête avant d'avouer :
« C'est à cause de toi !
– De moi ? s'étrangla André.
– Oui, et de moi aussi. »
André s'approcha de son ami.
« Enfin Alain, vas-tu cracher le morceau ou faut-il que je te provoque en duel comme tu l'as fait avec notre Colonel ? »
Alain toussota et répondit :
« J'y viens André, j'y viens. En fait nous essayons de te rendre service.
– Plaît-il ?
– Oui, j'ai remarqué que tu te mourais d'amour pour notre Colonel.
– Mais je... »
André resta interloqué devant l'aveu tranquille de son camarade de chambrée. Comment avait-il pu... ?
« Ne dis pas non mon cher, reprit Alain. Tout en toi te trahit. Ces regards que tu lui lances, cet attachement indéfectible à notre Colonel, ton amour pour une mystérieuse jeune femme qui n'est pas de ton rang... Vas-tu nier qu'il s'agisse d'Oscar ?
André baissa la tête et s'abîma dans la contemplation de la place d'armes baignée d'un soleil printanier. Une voletée d'oiseaux traversa le ciel, et le bruissement de leurs ailes rompit le silence de ce tranquille après-midi parisien. Il reprit, fataliste :
« Tu as raison Alain. J'aime Oscar d'un amour impossible depuis des années. Je n'ai pas le droit de poser les yeux sur elle vu que je suis son valet, mais c'est comme ça, je n'y peux rien. Et je ne vois pas bien en quoi tu pourrais me rendre service. Les sentiments ne se provoquent pas. Et Oscar... se contente de me tolérer. »
Alain hoqueta de surprise.
« Te tolérer ? Tu plaisantes, j'espère ! Je suis persuadé au contraire que tes sentiments sont partagés. Elle était tellement bouleversée lorsqu'elle t'a trouvé dans l'armurerie ! A l'époque, j'en ai ri, je ne connaissais pas votre histoire mais à présent tout s'éclaire. Je crois dur comme fer que notre brave Colonel est éperdument amoureuse de toi. Alors les gars et moi, tu vois, on essaie simplement de te donner un petit coup de pouce en... »
Il ne put continer. André était parti d'un éclat de rire, un rire solaire et cristallin, un rire qui secouait la moindre petite parcelle de son corps. Un rire qui cascadait de sa large bouche et déferlait sur le visage, les épaules, tout Alain. Un rire qui envahit la pièce et bouleversa le soldat.
« Alain... »
André s'approcha de son ami, posa les mains sur ses épaules et se contenta de lui dire :
« Merci Alain ».
Puis il s'éloigna, secoué d'éclats de rire comme autant de gouttes de soleil qui éclaboussaient la sombre pièce.
Un rire auquel Alain aurait pu jurer que s'étaient mêlées des larmes, commme des perles d'ambre liquide, au fond du regard d'André.
Des lendemains qui ...Et Oscar, qu'en pensait-elle pour sa part, de tout ce raffût ? Elle avait bien sûr noté le mystérieux comportement de ses soldats, remarqué qu'ils trouvaient tous n'importe quel prétexte pour lui parler de mariage, d'amour et de tout ce qu'elle considérait comme des fadaises sans intérêt. Décidément, le printemps qui approchait mettait la garnison dans un bien curieux état ! Mais, fidèle à son manque total de clairvoyance et de lucidité dès qu'il s'agissait des choses du cœur, elle mettait cela sur le compte d'un pari entre ses hommes, d'une suite de gamineries sans queue ni tête auxquelles il convenait de ne pas prêter une atention trop appuyée. En ces temps difficiles, où la faim tenaillait le ventre des Parisiens enclins à retourner ciel et terre et à vendre père et mère pour un morceau de pain, où les missions se succédaient sans répit, où les permissions n'étaient accordées qu'au compte- goutte, chacun attendait la visite d'une fiancée, espérait retrouver une épouse ou plus simplement, attendait la fin de la semaine pour oublier ses préoccupatiosn entre les bras d'une plantureuse jeune femme à la tendresse tarifée. Bref, parler d'amour et contempler de jeunes et jolies femmes constituait un excellent dérivatif à la grisaille et aux appréhensions du moment. Il ne fallait donc pas qu'elle en veuille trop fortement à ses hommes. D'ailleurs, en parlant de jolies femmes, les visites de la jeune soeur d'Alain, Diane, remportaient toujours un franc succès, chacun des soldats étant à l'affût de son frais minois, de son rire franc et doux à la fois, et de ses charmantes attentions envers son frère.
Tous ses hommes ?
Oscar fronça le nez à cette idée.
Il y en avait au moins un, un seul, qu'elle ne voyait pas se pâmer d'admiration à chacune des visites de Diane.
André.
A vrai dire, elle n'en savait fichtre rien.
Il y avait déjà un moment qu'elle ne surveillait plus ses allées et venues, se contenant de signer ses ordres de permission. Elle avait simplement constaté qu'il n'était pas forcément présent lors des visites de la jeune femme.
Foutaises que tout cela ! Jura-t-elle en son for intérieur.
Foutaises que ces plaisanteries, que ces marivaudages !
Enfin, tant que cela n'entravait ni les séances d'entraînement, ni les rondes de sécurité imposées dans les rues de Paris, ni la bonne marche de son régiment, ils pouvaient bien faire ce qu'ils voulaient, plaisanter d'un rire grasseyant et se livrer à toutes les badineries qu'ils désiraient. La seule chose qu'elle redoutait, c'était que son supérieur, le Général de Bouillé, pût débarquer à l'improviste et assister à ces séances de grand Guignol. Là, pour sûr, ses hommes recevraient une leçon, et elle, sans doute un blâme.
Pour l'heure, il était déjà tard. Le temps était venu de rentrer à Jarjayes avec André. Pour rien au monde, elle n'aurait manqué ce rendez-vous en tête à tête avec son compagnon d'armes, leurs silences emplissant l'air sans verbiage inutile. Le seul moment partagé durant la semaine. L'amitié, même écornée par la vie et le geste malheureux qu'André ne se pardonnait toujours pas, avait marqué leur relation d'une patine indélébile à nulle autre pareille. Et cela, Oscar n'était pas prête à y renoncer. Elle se leva, rassembla les dossiers épars sur son bureau, et sortit de son cabinet de travail à la recherche de celui qu'elle considérait encore et malgré tout comme son ami.
*****
Quinze heures sonnaient au bourdon de Notre-Dame.
Chaussée d'Antin, sur la place d'armes, on n'entendait que le cliquetis des lames qui s'entrechoquaient, les ahanements des hommes concentrés sur leur entraînement et les consignes données par leur martial colonel, affairé à superviser leur entraînement en même temps qu'elle luttait à armes presque égales avec le seul de ses hommes qui pût lui donner du fil à retordre. André était en effet le seul avec lequel Oscar se battait presque à égalité, et leurs passes d'armes, acérées, fines et puissantes à la fois faisaient la joie de leurs compagnons, toujours prompts à observer et tirer une leçon de leurs échanges.
« Leroy, protégez votre cou lorsque vous feintez. Maurois, plus rapide dans l'attaque, votre adversaire a largement le temps de remonter ! Rosselois, c'est bien ! Vous avez fait des progrès notables ! »
Oscar claquait ses ordres et ses remarques d'une voix sèche et décidée qui ne souffrait aucune contestation. Son regard acéré allait de l'un à l'autre des soldats, tout en observant du coin de l'oeil André, qui la laissait venir à lui, connaissant par cœur chacune de ses stratégies et des bottes qu'elle employait.
« Alain, faites attention, j'ai encore besoin de Lassalle dans mon régiment ! Vous allez me l'écharper ! Durand, vous reculez trop, atten... »
Haaa...
Un cri avait déchiré le ciel. Oscar, effarée, se retourna brusquement vers André, et vit avec horreur qu'il se tenait la main gauche. Du sang s'égouttait de la plaie sur le sol poussiéreux de la place d'armes.
« André...Dieu du ciel ! André, qu'ai-je fait ? »
S'élançant vers lui, elle prit d'autorité la main que son épée avait blessée, l'examina et la porta à ses lèvres pour en soulager la douleur.
« Tu... Vraiment ce n'est rien Oscar, je te jure » protesta le jeune homme.
Et comme il voyait Oscar toute retournée par ce qu'elle avait fait, il poursuivit :
« Mais oui, j'ai mis du temps à parer et …
– Tu n'as rien à te reprocher André ! Coupa Oscar, la mine défaite. C'est entièrement de ma faute ! Cela m'apprendra à faire deux choses en même temps et à ne pas regarder mon partenaire ! J'aurais pu te toucher beaucoup plus gravement ! Se morigéna-t-elle sans cesser ce tenir la main de son soldat.
– Non Oscar, je remercie le ciel que les choses se soient passées ainsi. C'est moi qui aurais pu te toucher et te blesser...
– André, même blessé, tu continues à me protéger... Comme... » blêmit Oscar.
A ce souvenir, le regard d'azur s'emplit d'eau et nimba d'une infinie tendresse le visage du soldat Grandier.
« Oui Oscar. Comme avec le Masque Noir, murmura André. Je te l'ai déjà dit, je donnerais ma vie pour toi.
– André... »
La gorge contractée, Oscar n'avait pas lâché la main de son ami. S'avisant alors que toute la compagnie, positionnée en cercle autour d'eux, ne cessait de les dévisager, elle reprit contenance avant d'asséner :
« Messieurs, je vous remercie. Je suis satisfaite de cet entraînement. Vous progressez à grands pas. Je vous laisse désormais quartier libre jusqu'à la revue de ce soir. Le soldat Grandier va se rendre à l'infirmerie pour soigner cette plaie. Alain, vous l'y accompagnerez. Tirez une leçon des événements de cet après-midi, tout comme je le fais : ne jamais relâcher son attention lorsque l'on a l'épée à la main. Repos Messieurs. »
Elle salua ses hommes avant de faire un pas en arrière, confiant André aux bons soins d'Alain qui lui jeta subrepticement un regard en coin.
« Tu vois ça André ? fit Alain à l'oreille du grenadier, observant toujours Oscar, qui maintenait à grand-peine son masque de Colonel alors que la peine lui broyait le cœur d'avoir blessé son ami. Ce que je viens de voir me laisse songeur. Admets tout comme moi que tu ne lui es pas indifférent. Il lui reste maintenant à l'avouer...Allez, l'ami, viens avec moi. »
Il escorta son compère jusqu'à l'infirmerie sous le soleil de cette après midi édifiante, qui réchauffait les cœurs et les âmes d'un subtil espoir.
*****
Oscar avait regagné ses quartiers, les yeux brillants, le cœur battant et les joues rougies par l'effort et plus que tout par l'émotion. Ce qui venait de se dérouler sur la place d'armes la bouleversait au plus haut point.
André...
Sa blessure, sa bonté, et ce souffle court qu'elle n'avait réussi que difficilement à contrôler lors que ses yeux frémissants avaient rencontré ceux de son ami.
Et cette main.
Cette main, blessée, calleuse et chaude.
Cette main d'homme dans laquelle la sienne se calait si bien. Cette main qu'elle aurait voulu ne jamais lâcher. Qu'elle n'aurait à coup sûr pas laissée si seulement tous les hommes du régiment n'avaient eu les yeux dardés sur eux.
« Colonel ? »
Oscar sursauta, surprise d'être interrompue au milieu de ses cogitations. Alain se tenait dans l'embrasure de la porte, qu'il n'avait même pas eu besoin d'ouvrir tant l'émotion d'Oscar avait obéré ses réflexes les plus essentiels.
« Alain, vous voici... Comment va André ? » S'enquit-elle, tentant de masquer son émotion derrière un réflexe purement professionnel.
Le sergent, crânement, pénétra dans la pièce et s'adressa sans détour à sa supérieure.
« Il va bien, ne vous tracassez pas. La blessure était plus impressionnante que grave. Il est encore à l'infirmerie. Vous pourrez aller le voir après notre entretien.
– Merci Alain. Le ciel soit loué ! Soupira Oscar. Je m'en veux, si vous saviez..., ne put-elle se défendre de justifier, les joues écarlates et le regard penaud.
– Colonel si je puis me permettre..., glissa le soldat.
– Oui Alain ?
– Allez-vous vous rendre à l'évidence désormais ? Questionna Soissons, l'air à la fois contrit et inquisiteur.
– Mais que signifie … ? hoqueta Oscar.
– Cela signifie, Colonel, qu'il serait temps pour vous d'admettre que l'intérêt que vous portez à André n'est ni strictement professionnel ni simplement amical. Voilà tout, asséna Alain, sûr de son fait.
– Je ne vous permets pas de porter un jugement sur mes sentiments Sergent de Soissons, articula nettement Oscar pour ravaler Alain à son rang, espérant par là le faire taire. Je n'ai nul besoin de vous pour savoir ce que je dois ressentir. »
Mais pourquoi son cœur lui refusait-il d'obéir ? Pourquoi faisait-il cavalier seul et battait-il tel un cheval fou, ignorant les dénégations de celle qui refusait encore d'ouvrir les yeux ?
« Inutile Colonel, je me le permets bien tout seul. Je ne vais pas rester et continuer à vous faire la leçon. Je vous demande simplement de considérer honnêtement vos réactions lors de cet incident et de vous demander si ce sont vraiment les sentiments que l'on porte à un ami. Soyez franche avec vous-même Colonel... et avec lui. Il le mérite. Je vous l'ai déjà dit, et lui aussi vous l'a dit, il donnerait sa vie pour vous...
– Alain... »
Echet et mat.
Le sergent de Soissons regarda intensément sa supérieure blêmir, rougir et se tordre les mains de gêne. Il avait fait mouche, il le savait. Il l'avait vu dans ses yeux. Ses magnifiques yeux bleus qui ne voulaient pas s'avouer qu'ils ne brûlaient que pour son grenadier. Ses yeux qui attestaient de son trouble sans qu'il fût nécessaire de proférer une seule parole. Et ce simple prénom en réponse, « Alain », sans autre terme, constituait l'aveu de ce qu'elle considérait encore comme une faiblesse, elle dont l'éloquence n'était que rarement tarie. De cette vérité qui se faisait jour dans son cœur et dans son esprit, alors même que son corps en avait déjà saisi depuis longtemps le doux sortilège.
Oscar tourna lentement son visage vers son subordonné. Elle savait. Il savait. Point n'était besoin de longs discours.
« Merci Alain » dit-elle simplement.
L'homme la salua en portant un doigt à sa tempe et s'en fut, la laissant seule avec le secret de son cœur.
*****
« André »
Elle était entrée sans bruit dans la chambre de l'infirmerie, intimant au médecin de la laisser passer. Résolument, elle s'était dirigée vers la chambre où reposait André, le poignet bandé, attendant de pouvoir regagner le dortoir des hommes et songeant à l'incident de l'après-midi. Elle avait pris le temps de l'observer, assis sur le lit, le visage baissé, mangé par la chevelure brune, le regard sombre, les traits tirés.
Elle l'avait trouvé beau.
Irrésistiblement beau, même dans la simplicité de cette mise de soldat. La veste de grenadier négligemment posée en travers du lit, vêtu simplement de sa chemise et de ses culottes, André n'avait nul besoin d'artifice pour que sa puissante constitution le revête de la simple dignité des roturiers.
« André, comment vas-tu ? Souffla Oscar.
– Très bien Oscar, ce n'est qu'une égratignure, tu le sais bien.
– Si tu savais à quel point je me sens coupable, fit-elle en lui prenant les mains.
– Ne le sois pas Oscar, surtout pas. Si je n'éprouve pas de rancoeur alors tu ne dois pas éprouver de remords. »
Elle détourna le regard.
« André. Tu es tellement bon avec moi. A tel point que je m'en veux de n'avoir compris que maintenant à quel point tu comptais pour moi. A quel point... »
Une larme perla à l'oeil émeraude lorsqu’elle murmura d'une voix presque inaudible mais que seul peut entendre un cœur amoureux:
« A quel point je pouvais t'aimer... »
On ne vit que deux fois
Les rayons du soleil matinal filtraient à travers les persiennes, éclairant d'une douce clarté les quartiers du Colonel des Gardes Françaises. La locataire des lieux s'étira langoureusement, daigna enfin ouvrir les yeux et tourna son regard d'azur, rayonnant de bonheur, vers celui qui avait partagé sa couche.
« André...
– Bonjour toi, souffla tendrement l'intéressé. Bien dormi ?
– Le plus merveilleusement du monde, et tu n'y es pas étranger » minauda Oscar en se tournant vers la fenêtre, éblouie par l'astre du jour.
C'est alors qu'elle réalisa brusquement que le soleil était déjà fort haut, et que par conséquent, l'horaire n'était pas tout à fait le même que d'habitude.
« Dieu du Ciel André, quelle heure est-il ? Et la revue, les hommes... »
Affolée, elle se redressa et repoussa le drap d'un coup sec, se montrant ainsi aux yeux de son compagnon telle que la nature l'avait faite. Avant de rougir et de rabattre prestement le tissu de lin sur elle.
« Allons du calme, tranquillise-toi ma douce, répondit André en souriant. Les hommes ne nous attendent pas. Ils sont bons pour une matinée de permission. Je crois qu'Alain et le lieutenant Daguerre ont... enfin... ont compris qu'il valait mieux nous laisser seuls ce matin...
– Alain ? Daguerre ? Fit Oscar, les yeux ronds de surprise. Ils nous auraient laissés...
– Oui Oscar. Alain m'a vu revenir de l'infirmerie hier, et n'a pas tardé à comprendre ce qui s'était passé. Et lorsque je lui ai dit que j'allais te voir dans la soirée il m'a gratifié d'un superbe clin d'oeil et m'a dit : « Vas-y, je m'occupe de tout ». Je crois qu'il est sincèrement content pour nous, ajouta André d'un air ému.
– Pour toi surtout, rectifia Oscar.
– Non Oscar, pour nous deux, vraiment. Et pour cette nouvelle vie.
– Une nouvelle vie, murmura Oscar... Tu as raison André... Une seconde vie qu'il m'est enfin donné de vivre avec toi. J'ai tellement attendu avant de m'en rendre compte... Me pardonneras-tu un jour mes atermoiements ?
– Il n'y a rien à pardonner Oscar. Tu m'as tout dit cette nuit... »
La tendresse lumineuse du regard d'André chavira Oscar. Elle poussa un profond soupir avant d'ajouter, mutine, les yeux emplis d'une lueur malicieuse et la main audacieuse courant sur le corps d'André dont l'échine fut brusquement parcourue par un frisson de désir :
« Vraiment, qui aurait cru que sous leurs airs bravaches, les soldats des Gardes françaises auraient l'âme si fleur bleue et que mes grenadiers s'amuseraient ainsi à jouer les entremetteurs ? Je crois que je vais me plaire ici finalement... D'ailleurs, si nous profitions encore un peu de ces quelques heures que nous octroient généreusement les hommes pour... explorer au mieux cette nouvelle vie ? J'ai encore tellement à découvrir avec toi... »
FIN