ch. 2
Le lendemain, Tréville faisait ses adieux aux mousquetaires.
La caserne était située sur la rive droite de la Seine, près du Palais des Tuileries, mais le capitaine reçut ses soldats rive gauche, un peu au dessus du Luxembourg. Non pas qu’il eût convoqué quiconque chez lui, mais c’était une habitude que les mousquetaires avaient rapidement acquise que d’aller et venir librement dans le logis de leur commandant. L’endroit y était comme une seconde maison. Lorsqu’ils ne s’entrainaient pas au 15, rue du Bac (1) avec le sous-lieutenant, les mousquetaires s’étourdissaient dans les brasseries, flânaient aux Tuileries ou... s’amusaient à tirer l’épée dans les escaliers de l’Hôtel particulier du lieutenant-capitaine ! Cela n’étonnait personne. Malgré les remarques désobligeantes du Cardinal de Richelieu – dont les mousquetaires passaient pour un modèle de bonne conduite - Tréville avait toujours excusé ses hommes, n’exigeant d’eux qu’honneur, loyauté et ardeur au combat.
Cette tolérance et cette confiance données à chacun d’eux, les mousquetaires les lui avaient toujours rendues, lui témoignant une fidélité et une obéissance bien supérieures à celles qu’ils réservaient au roi (2).
De sorte que, en ce matin venteux du mois de la Vierge, dans la cour intérieur de l’hôtel situé rue du Vieux-Colombier, c’étaient larmes et gémissements qui s’élevaient en une complainte tourbillonnante et qu’Éole charriait dans son mugissement.
Les hommes étaient alignés sous la fenêtre de chambre du capitaine et celui-ci passait devant eux, comme pour une dernière revue, leur expliquant assez mal les raisons de son départ mais les enjoignant de continuer de servir la monarchie, même si lui quittait la compagnie.
Renée hésitait quant à la conduite à adopter.
-Peut-être devrions-nous faire comme lui, suggéra-t-elle à mi-voix.
à ses côtés, ses amis grinçaient des dents.
-S’il s’en va, je ne vois pas pour quelle raison je resterais ! approuva Porthos.
-Nous ne toucherions plus aucun gage mais resterions libre d’agir selon notre conscience, calcula Athos. Et sans autorité au dessus nous, il nous sera beaucoup plus aisé d’enquêter et de chercher ce qu’il est advenu de Sa Majesté !
-Athos, Porthos, Aramis, appela Monsieur de Tréville après avoir fait rompre les rangs, le roi vous fait mander au Louvre.
-Le « roi » ? s’étonna Athos.
Le ton dédaigneux du brun mousquetaire n’échappa pas au capitaine. Sous sa moustache frisée, il esquissa un sourire avant de se reprendre :
- Vous avez raison, ce n’est certainement pas cette marionnette qui souhaite vous entretenir. Aussi, je ne saurais trop vous conseiller que de faire montre de vigilance, mon garçon, ajouta-t-il prenant Athos en particulier.
Il marqua une pause avant de compléter :
-Vous savez que ce ne sont pas les épines qu’il faut craindre chez la fleur couronnée. Le lys possède un autre genre de ronces.
Tréville laissa tomber le silence durant lequel il appuya le regard qu’il coulait au jeune homme. Renée et Porthos échangèrent également un coup d’oeil. Mais comme aucun de ces deux-là n’avait saisi la métaphore, ils haussèrent les épaules et attendirent le moment où ils pourraient entrer dans la conversation.
Discrètement, Renée sourit. Il y avait entre le capitaine et son favori une intelligence secrète et familière qui l’attendrissait.
-Connaissez-vous la raison officielle de cette convocation ? s’enquit finalement Athos, sans avoir fait de commentaire.
-Nullement. Je n’ai pas même obtenu l’ombre d’une rumeur. Toutes les portes du Louvre me sont fermées depuis que j’ai traité ce nouveau venu de pantin. Si la Cour savait devant qui elle multiplie les courbettes à présent...
-Cette démission a donc été forcée ? questionna Renée
-Non, sourit le capitaine. Ils ne pouvaient pas m’inquiéter pour mes idées. Pas alors qu’ils ont déjà écarté la reine et le cardinal. Si la Cour ne réagit pas, les Parlements auraient sourcillé, eux !
-Dans ce cas, pourquoi avoir renoncé à votre office ?! Le roi et la compagnie ont besoin de vous ! reprocha Athos.
Renée retint une exclamation et Tréville observa son meilleur élément avec étonnement. Il avait haussé le ton ! Le capitaine n’aurait toléré l’incartade de la part d’aucun autre. Fallait-il que son départ affectât grandement le respectueux Athos pour que celui-ci s’oubliât de la sorte !
Renée se fit violence pour ne pas lui saisir la main afin de lui témoigner son soutien.
Finalement les sourcils de Tréville se rejoignirent au centre de son front, conférant à leur propriétaire cet air jupitérien que personne n’aimait à provoquer, surtout lorsque s’ajoutait, comme en la présente circonstance, l’apposition des deux mains de part et d’autre du baudrier.
Menton relevé, épaules carrées et bassin en avant, le lieutenant-capitaine n’épargna pas l’effronté :
-Et que croyez-vous donc que je sois en train de faire, jeune sot ? rabroua-t-il. Mon épée et mon allégeance vont à mon roi. Aussi, où que ce dernier s’en aille, je marche à sa suite ! J’ai donné mon congé afin de rechercher Louis XIII et le remettre sur son trône !
-Nous avons fait le même serment, s’empressa de répondre Athos ( qui avait baissé les yeux et n’osait pas les relever). Laissez-nous vous accompagner dans cette entreprise !
Renée et Porthos hochèrent la tête en signe d’assentiment et firent un pas en avant.
-Certainement pas, messieurs ! tança Tréville.
Renée nota toutefois qu’il venait de relâcher son baudrier.
-Pour que mon succès soit complet, j’ai besoin de vous dans la compagnie ! Il me faut des hommes fiables pour surveiller les actions du nouveau triumvirat et m’adresser des billets d’information.
-Mais vous ne pourrez découvrir seul où Milady fait retenir Sa Majesté ! insista Athos.
-Seul ? Hélas, si je pouvais l’être ! s’amusa le capitaine. Un insupportable fanfaron de votre connaissance me harcèle déjà tous les matins, dès la sortie de mon lit, pour que je le fasse entrer dans la compagnie. Aussi, je ne doute pas qu’il m’embarrassera dans ma nouvelle mission dès que vous la lui aurez rapportée !
A l’évocation du jeune Gascon dont Tréville acceptait implicitement le renfort, Renée sourit.
-Il ne vous décevra pas, assura-t-elle, ravie pour l’enfant d’avoir une occasion de faire ses preuves, même si elle le trouvait encore un peu immature.
Athos, en revanche, digérait mal d’être mis à l’écart. Il comprenait cependant le plan d’action de son capitaine et fit contre mauvaise fortune bon cœur :
-Je réponds de d’Artagnan. Sa désinvolture pourra vous surprendre mais elle lui permettra ne pas éveiller l’attention des hommes de Milady sur lui. Pendant ce temps, nous serons vos yeux et vos oreilles à la Cour.
-Je n’en attendais pas moins de vous, mon brave Athos, sourit Tréville en lui donnant l’accolade.
Il ne sembla pas remarquer que son favori demeurait crispé.
-Maintenant, Mousquetaires, rompez !
- A vos ordres, Mon Lieutenant-Capitaine ! crièrent en cœur Renée et Porthos.
Tréville approuva d’un hochement de tête puis tourna les talons.
Encore alignés au garde à vous, Athos, Porthos et Aramis regardaient leur capitaine s’éloigner. Subitement, Porthos pivota sur sa droite et asséna une puissante frappe dans le dos d’Athos
-Ne le regardez pas comme s’il s’en allait périr au combat, enfin ! Il débute simplement une mission secrète !
-Je sais, soupira Athos en se massant le dos (parce que Porthos ne mesurait jamais très bien sa force), j’aurais seulement souhaité pouvoir l’accompagner.
-Eh bien, laissez-moi vous dire que je suis fort aise qu’il ne l’ait pas fait ! commenta son ami.
Il sourit de toutes ses dents comme il réajustait le panache de son chapeau.
-Expliquez-vous, l’enjoignit Renée, intriguée
- Vous ne saisissez pas ? Refuser la compagnie d’Athos signifie que Tréville ne l’estime plus autant qu’avant... Alors j’ai une chance de devenir le nouveau favori du capitaine ! Et comme ce dernier est dans l’étroite amitié du roi, je n’aurais plus à attendre ma baronnie très longtemps ! Qu’en dîtes-vous, Aramis ?
-Ah, c’est pertinemment bien réfléchi, mon ami ! déclara Renée en répondant au clin d’œil que son compagnon lui adressait. Mais n’oubliez pas que moi, j’ai une abbaye à demander ! Et je suis dans l’amitié du confesseur du roi !
-C’est bien vrai, ma foi ! s’écria Porthos en écartant les bras dans un ample mouvement tragique. Sacrebleu ! Je n’avais pas songé à cette rude concurrence !
Il forçait un peu trop son jeu de comédien italien mais Athos était tellement abattu qu’il n’y vit goutte.
-N’allez pas trop vite en besogne, les arrêta-t-il en fronçant les sourcils. C’est pour l’heure encore un faux roi qui se tient assis sur le trône ! Il vous faudra d’abord le démettre !
-C’est évident ! approuva Renée.
-Dans ce cas, que faîtes-vous planté là, Athos ? s’étonna faussement Porthos. Notre devise vous oblige, vous devez nous aider à réaliser nos rêves !
Et, prenant chacun l’homme par un bras, Porthos et Renée entrainèrent joyeusement leur compagnon vers le Louvre, leur éclat de rire sortant bientôt le jeune attristé de sa mélancolie.
****
Le Louvre était la demeure des rois de France depuis Charles V. Forteresse à destination purement militaire sous Philippe Auguste, le château médiéval avait commencé à rajeunir sous François Ier pour prendre un air d’élégance italienne sous Henri II. Mais c’est avec Henri IV que le perpétuel chantier dans lequel on vivait au Louvre devint le plus important, obligeant même la Cour à se déplacer le soir à l’hôtel du Petit-Bourbon parce qu’il n’était plus possible d’organiser des bals que là-bas. Brusquement interrompus avec le coup de couteau mortel de Ravaillac, les travaux d’aménagement et d’embellissement du palais étaient tout aussi soudainement repartis en 1624, lorsque Louis XIII avait décidé d’entrer en politique.
Alors que le bac (3) les faisait gagner la rive droite, Renée promena son regard sur la Grande galerie. L’imposante façade s’étirait le long du fleuve, du vieux château de Charles V jusqu’au petit palais de Catherine de Médicis. Contre son flanc, s’alignaient des chariots de bœufs, de mules et de chevaux, desquels des bras robustes déchargeaient toute la journée des pierres, du sable, des poutres et de la chaux.
Près de la porte sud, grouillait une foule de journaliers que l’intendance des Bâtiments du Roi recrutait quotidiennement pour démolir une partie de l’aile nord de la vieille forteresse. Quand ils en auraient terminé, ils seraient remplacés par la guilde des artisans à qui Monsieur Lemercier, l’architecte du Roi, avait commandé colonnades, frontons sculptés et caryatides. Quelques uns se promenaient déjà sur les lieux avec des croquis remarqua Renée tandis que, débarqué sur la terre ferme, son cheval fendait la dense populace.
A l’intérieur du palais, le faux souverain reçut les mousquetaires non dans la Chambre de parade – ainsi qu’il était de coutume - non dans le cabinet de travail du roi mais dans la petite Galerie d’Henvi IV*, là où le Béarnais avait fait accrocher les portraits de tous les rois et reines de France. Sans doute l’usurpateur souhaitait-il ainsi intimider ses visiteurs. Malheureusement pour lui, les fenêtres donnaient sur le départ de la Grande Galerie ; aussi, entendait-on monter de l’extérieur, le beuglement des bœufs et les jurons des charretiers, ce qui amoindrissait de beaucoup l’auguste solennité de l’endroit.
-Si je vous ai fait venir aujourd’hui, déclara le prétendu Louis XIII après avoir reçu son compte de salutations et de compliments, c’est pour pourvoir au remplacement du capitaine de Tréville à la tête de mes mousquetaires.
Il était édifiant de constater à quel point cette imposture ressemblait au roi. Il devait y avoir quelque magie là-dessous car nul ne pouvait ressembler autant à quelqu’un. Et si le roi avait eu un jumeau, tout le royaume le saurait !
-Et c’est ainsi qu’Athos, qui est officier, recevra le brevet de capitaine, déclara Milady.
-Moi ? s’éleva la voix d’Athos.
Renée partageait son étonnement.
Non pas qu’Athos n’en fût ni digne ni capable mais la charge de lieutenant capitaine, bien qu’elle fût délivrée sur brevet n’en restait pas moins vénale et coutait plus de deux cent mille livres. La charge de sous-lieutenant, qui venait juste en dessous, coutait cent mille livres et celle de cornette, qu’occupait Athos, en valait cinquante mille. Or, c’était uniquement avec l’argent de sa maîtresse, Madame de Chevreuse, qu’Athos avait pu s’acheter son office. Dans ces conditions, comment songer qu’il pût évoluer si haut, si rapidement ?
-Mais, je ne suis qu’Enseigne ! répliqua Athos, presque avec reproche. Que faîtes-vous du sous-lieutenant ?
Le sous-lieutenant a été appelé ailleurs, répondit évasivement mais fermement Milady. Il ne reste donc plus que vous comme officier. Monsieur Porthos qui est Maréchal des Logis et Monsieur Aramis qui est Brigadier-grade recevront respectivement les charges de sous-lieutenant et d’Enseigne ( 4)
- Du reste, vous êtes les trois mousquetaires les plus célèbres de la compagnie, renchérit Manson, et vous êtes dignes de ces postes.
Renée jeta un regard à Athos. Ce dernier fronçait les sourcils. Comme elle, il devait trouver étrange cette distribution des promotions. D’autres officiers supérieurs avaient-ils également demandé congé pour rallier la cause du vrai roi ? Il était rassurant de penser que le capitaine n’agirait pas seul.
- A vous trois, vous remplacerez Tréville, ajouta Manson.
Il sourit avec une condescendance déplacée pour qui n’était pas un monarque. Renée réprima une grimace de dégoût. Même si obtenir la charge de capitaine donnait à la triste veuve l’assurance de progresser dans sa quête de vengeance, jamais elle n’accepterait de se placer sous les ordres d’un ruffian de la trempe de Manson !
Ce commerçant immoral, attiré par le gain et le pouvoir, affichait sa richesse avec ostentation. Il portait des pendants d’oreille sertis de nacre et le pourpoint qui l’habillait était de soie, brodée de velours. La dentelle autour de ses poignets était d’un blanc immaculé mais cette propreté n’était qu’apparence car ses ongles étaient crasseux. Renée le vit quand les doigts de Manson jouèrent avec le médaillon qu’il portait autour du cou.
Ce médaillon...
Le regard de Renée fut irrémédiablement attiré.
C’était un très joli pendentif composé d’un gros rubis monté sur une plaque d’or ouvragée et ciselée.
Une vague de douleur s’empara de la jeune femme. Elle avait offert le même genre de pendentif à François le jour de leurs noces. Le sien était un médaillon à l’intérieur duquel il avait fait placer un minuscule portrait de Renée, vêtue de la robe qu’elle portait le jour où ils s’étaient rencontrés. François disait que, tant qu’il conserverait cette chaine autour du cou, le monde saurait qu’il chérissait son épouse comme au premier jour et que, lorsqu’il mourrait, ce bijou, enfermé avec lui dans sa tombe, inscrirait son amour dans l’éternité. Hélas, quand François avait été assassiné, le médaillon avait disparu. Les reîtres avaient dû l’emporter avec les autres objets de valeurs que contenait la maison et qu’ils avaient dérobés.
- Qu’osez-vous dire là ?
Renée sursauta. Le « roi » venait de hausser le ton et la jeune femme réalisa alors que, l’espace d’un instant, hypnotisée par le pendentif, elle avait complètement occulté la conversation.
Athos semblait en train de se justifier :
- ... le capitaine, disait-il, je ne peux pas travailler avec Milady qui a été l’espionne du cardinal et encore moins avec Manson qui a fait fortune en exploitant la misère des plus pauvres sujets de Sa Majesté !
Les deux accusés attendirent impatiemment la réaction de leur marionnette.
Curieusement, après un silence embarrassé, celle-ci se contenta d’interroger :
- Dans ce cas, Porthos, voulez-vous recevoir le brevet de capitaine ?
Sa réponse ne se fit pas attendre.
- Je refuse avec la même énergie ! s’écria l’impulsif mousquetaire. J’en perdrais l’appétit si je rencontrais tous les jours Manson, complice du masque de fer !
répartie, qui avait pour unique objectif d’ouvrir les yeux à l’imbécile assis sur le trône ne plut pas du tout au nouvel intendant des finances.
- Comment osez-vous espèce de malotru ?!!! Répétez-ça !
Il se rua sur Porthos, bras en avant, prêt à lui sauter à la gorge. Porthos étira un sourire malicieux, recula légèrement puis fit un croc en jambe à son assaillant qui s’étala de tout son long sur le parquet.
Le pendentif qui avait attiré l’attention de Renée se détacha alors et vint rouler jusqu’aux pieds de la jeune femme.
Elle se pencha pour le ramasser et son doigt gratta contre une encoche. Le bijou s’ouvrait ! Comme celui de François...
Renée se figea de stupeur.
Etait-ce possible ???
Lentement, elle retourna la petite plaque dorée. Les armoiries de François y étaient gravées. C’était son médaillon !!!!
Renée dut se retenir pour ne pas crier. Elle était enchantée !! Elle était sur le point de pleurer !!
Le corps parcourut de frissons, Renée ferma les yeux et, le pendentif contre son cœur revit en cascade les images de son passé. Des images de bonheur, des images d’amour, des images à jamais perdues.
René ouvrit les yeux, soudain affolée.
Comment ce bijou était-il entré en possession de Manson ? L’avait-il racheté aux assassins ? Les connaissait-il personnellement ? Elle se souvint alors avoir entendu le capitaine de Tréville dire que Manson, avant d’être commerçant avait été mercenaire...
Un tourbillon de violence s’empara de celle que la vue du sang n’effrayait plus. Cet homme, Manson, c’était lui le responsable de son malheur. C’était lui le meurtrier qu’elle avait recherché durant six longues années... et aujourd’hui il se trouvait là, devant elle, à proximité immédiate de sa rapière...
-Eh bien Aramis ?
Renée laissa retomber la main qui avait déjà entouré la garde de son épée.
-Oui, Sire ?
-Que décidez-vous ? Voulez-vous devenir le capitaine ?
Renée tressaillit. Elle n’avait que quelques secondes pour se décider. En pleine mission pour les mousquetaires, elle venait de découvrir subitement l’information pour laquelle elle s’était empêchée de vivre durant toutes ces années. Comment exercerait-elle sa vengeance ? Devait-elle imiter ses amis et rester fidèle au roi ? Mais elle devait gagner la confiance de Manson afin de pouvoir s’approcher au plus près de lui ! Athos lui pardonnerait-il cela ? Ce ne serait qu’un revirement d’apparence et il n’avait pas besoin d’elle pour sauver le roi ! Et elle, devait-elle agir seule ou demander l’aide de ses amis ? Et si Manson lui échappait ? Et si Athos la repoussait ?
Elle serra le pendentif dans sa main et fit son choix.
- Oui, Sire, j’accepte cette offre, répondit-elle finalement en s’inclinant. Je suis fier de recevoir ce brevet.
- Aramis !!! s’exclama Porthos, scandalisé.
- Mais à quoi pensez-vous donc ?!! S’insurgea Athos
L’air ahuri qu’il affichait, l’incompréhension dans ses yeux jetèrent Renée dans le trouble le plus profond. Elle regretta aussitôt de ne pas lui avoir révélé une partie de son secret. Naturellement, elle allait le décevoir. Elle l’avait anticipé. Mais elle n’avait pas songé qu’elle ne pourrait peut-être pas le supporter.
-Je ne pense à rien, dit-elle, la voix très posée en fixant le faux-roi. Le statut de capitaine des mousquetaires est un grade que tout le monde envie. Si Athos et Porthos le refusent, je l’accepte volontiers.
Un discours aussi bourgeois ne lui ressemblait pas du tout. Athos pourrait-il lire à travers les lignes et reconnaître la supercherie ? Elle l’espérait de tout cœur.
-Pourquoi faîtes-vous cela, Aramis ?!! rugit cependant l’intègre jeune homme.
Le cœur de Renée se serra davantage. Comment ? Il ne comprenait pas ?? Mais ne voyait-il pas qu’elle avait le maintient un peu trop rigide et le regard anormalement fixe !!
-Vous oubliez notre amitié ! ajouta-t-il avec fureur.
Non ! Comment pouvait-il penser cela ? Alors qu’elle refusait obstinément de le regarder ! N’était-ce pas là un aveu que quelque chose allait mal ??
-C’est une trahison ! lâcha-t-il enfin.
La peine et le dégoût qui marquaient sa voix achevèrent de briser le cœur de Renée. Toute chaleur quitta subitement son corps.
Le mot était tombé.
Trahison.
Pour qui connaissait Athos, ce mot signifiait la fin de tout.
L’attitude toujours sérieuse, le regard souvent impitoyable, Athos était respecté et redouté pour l’élitisme de son jugement. Le sens étroit qu’il se faisait de l’amitié et de la loyauté répondait en écho à la mélancolie qui filtrait parfois de son regard d’hiver. Trahi dans sa jeunesse par ceux qu'il aimait, Athos laissait le pardon à la Mansuétude de Dieu. Aussi offrait-il rarement sa confiance et ne le faisait-il qu’une seule fois. Or, Aramis, qui avait compté parmi les plus proches de ses proches, venait soudain d’en être privé.
Elle déglutit avec difficulté et tacha de garder contenance tandis que l’Enseigne et le Maréchal des Logis quittaient la galerie avec forte humeur.
Renée tenta de se rassurer. Athos était sage, sa colère et sa déception finiraient par passer. Il accepterait ses explications quand cette histoire serait finie.
- Monsieur Manson, reprit-elle alors d’un ton aimable, parfaitement adapté à son rôle de composition, je manque sans doute d’expérience mais je ferai de mon mieux !
Elle avança vers le sinistre individu et lui tendit la main pour le relever. Il avait une poigne plus forte qu’elle et cela était sans doute une chance car elle peinait à contrôler la rage qui bouillait en elle. Si elle avait été un homme, sans doute aurait-elle prit un malin plaisir à lui écraser « malencontreusement » les doigts...
Puis elle lui rendit le médaillon. Ce geste lui couta mais elle savait que ce n’était que temporaire et que bientôt, elle viendrait le récupérer, demandant en tribut la vie de son ennemi.
à suivre...
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(1) adresse de la caserne où s'entrainait la première compagnie lors de sa création en 1622. Si proche du Louvre car les Mousquetaires étaient à l'origine la garde personnelle du roi.
(2) l'unification du royaume sous un seul suzerain ( Henri IV) est encore trop récente. On fait davantage confiance à son curé à l'époque ! Ce n'est qu'à partir de Louis XIV et du culte de la personne qu'il impose que les Français vénèrent leur roi.
(3) on traversait la Seine au niveau du Louvre grâce à un bac, car il n'y avait pas pont à cet endroit. Il fallait aller chercher le plus proche au niveau de l'Ile de la Cité, c'est le Pont Neuf (qui date seulement d'Henri IV, soit le règne juste avant Louis XIII !!!). Le pont royal, lui, sera bâti après ma fic, et encore, ce sera un pont de bois qui sera régulièrement emporté par les eaux avant que Louis XIV décide de le refaire en pierre !!
* la Petite Galerie ou Galerie des Rois a disparu à la suite d'un incendie sous Louis XIV.
(4) ces grades sont mon ajout personnel afin de vous présenter la hiérarchie militaire. Il n'en est pas question chez Dumas, pas plus que dans le dessin animé ( dans lequel ils sont d'ailleurs privés de leurs valets, donc présentés encore plus pauvres !!). Cornette et enseigne seraient synonymes d'après ce que j'ai pu comprendre. ça m'arrange, c'est utile les synonymes en littérature