Je prends enfin le temps de te dire à quel point j'aime ton oeuvre, Hetep-Heres (que je viens de relire intégralement. je vais bientôt la connaître par coeur).

J'aime particulièrement ton style, très "âge classique". Ainsi que ta façon de jouer avec la langue : jeux sur les images et métaphores, sur les rythmes des phrases, sur les niveaux de langues, sur les "langages" des personnages. Quant aux références culturelles, j'adore ! Te lire est un délicieux plaisir.

Le thème de ta fiction, bien sûr, me passionne. J'aime les hésitations, les doutes, les changements. Et les questions. Tu décris si bien l'émiettement des certitudes d'Oscar, qui s'y raccroche d'autant plus.
Elle en vient à vouloir masculiniser même son amour pour Fersen, qui l'a pourtant conduit à adopter une apparence féminine.

Citation :

La beauté… à bien y réfléchir, Fersen était beau, lui aussi. Éprouverait-elle pareil trouble s’il ne l’était pas ? Peut-être… mais peut-être pas… dût-elle admettre à contrecœur. Et n’était-ce point là la preuve flagrante, irréfutable qu’elle était homme ? Que peut-être aimait-elle un homme, mais qu’elle aimait en homme ? Que son cœur était masculin ?

(Comme si les femmes étaient aveugles ! Et la reine, pourquoi préfère-t-elle Fersen à Louis XVI ?)

Pour "l'aider" dans ses remises en cause, tu lui fais rencontrer toute une galerie de femmes déconcertantes pour notre colonel. Rosalie et la bonne samaritaine d'abord. Non plus la petite fille admirative, gentille et soumise, mais une jeune femme indépendante, volontaire et libre. C'est plus la Rosalie du DA. Avec sa voisine, elles lui montrent qu'une femme peut choisir sa vie et l'assumer seule. Et rester généreuse même dans le dénuement. J'aime surtout ce passage :

Citation :

Et Oscar réalisa alors que si ces quelques morceaux de légumes noyés dans l’eau claire la réchauffaient tant, c’était que depuis la veille au soir elle avait bien froid à l’âme et au cœur. Que depuis bien longtemps elle n’y avait plus senti de véritable chaleur. À quand donc remontait la dernière fois qu’on lui avait offert une chose aussi précieuse et coûteuse pour celui qui en faisait cadeau que cette modeste écuelle de soupe devait certainement l’être pour cette généreuse inconnue ? Quand donc lui avait-on donné comme ça, pour rien, quelque chose qui ferait à ce point défaut à qui s’en séparait ? Peut-être jamais, peut-être pas plus tard que la veille encore, elle ne savait pas, elle n’y avait jamais prêté attention.

Particulièrement le "elle n'y avait jamais prêté attention". Oscar semble prendre provisoirement conscience qu'elle s'est d'elle-même fermée aux autres et à leur affection. D'ailleurs le temps qu'elle passe à réfléchir sur elle-même alors qu'elle est en plein jeu d'échec ou en train de parler avec quelqu'un est révélateur. Elle n'a plus de relation qu'avec ses tourments.

Mlle Tailly de Mézière ensuite. Une jeune fille de la noblesse, à l'éducation traditionnelle, comme il y en a tant. Rien de particulier à en attendre. Elle ne devrait certes pas apprendre grand chose sur la femme et sur elle-même à Oscar. Et pourtant, cette anodine jeune fille va remettre en cause sa vision de la femme comme être voué au mariage avec sa pleine approbation. Et même, éventuellement, la faire se questionner sur le système des castes. Mais pas trop non plus. Oscar est déjà bien assez emmêlée avec sa répartition en genre pour pouvoir remettre en cause la répartition en classe de la société.

Enfin, la baronne de Coulange ! Je l'adore ! C'est un parfait miroir pour Oscar. Elle est aussi masculine que lui, à sa manière. Elle se livre à des activités scientifiques masculines (à l'époque), investit sa jeunesse dans ses activités (comme Oscar qui n'a vécu que pour sa charge de militaire), et en tire toutes ses satisfactions (encore une fois, comme Oscar au même âge). Elle se rend de nuit au Palais Royal, ce qui n'est pas un lieu pour les jeunes filles ou jeunes femmes de bonne famille, même accompagnées.
Mais contrairement à Oscar, elle assume aussi sa féminité, maîtrise l'art de la révérence et de la parure de cour quand il le faut.
Elle est donc à l'aise dans tous les lieux et dans toutes les activités et ne cache pas ses opinions (elle salue André lors d'un bal. De loin, mais visiblement). Elle ne doute pas, apanage de la jeunesse.
Et je parie qu'elle est aussi vierge qu'Oscar. Ce n'est que ma vision des choses, mais, d'après le portrait que tu dresses de M de Coulange, il me paraît bien capable d'avoir consenti au mariage sur la fin de sa vie pour sauver une intelligente jeune fille d'une union qui l'aurait empêchée de continuer ses études. Par amitié pour elle. De toute façon, à son âge, les besoins charnels doivent être moins exigeants... et je doute qu'elle aurait pu parler avec autant de sérénité de l'amour si elle avait dû subir les attentions d'un vieux dégoûtant.

Je m'aperçois que j'ai écrit une bien trop grosse tartine, donc je m'arrête là, à regret... Juste une dernière remarque : j'apprécie la fine description de la relation entre André et Oscar. Ils se sentent aussi abandonnés par l'autre l'un que l'autre (que c'est mal dit!). On se dit qu'à ce stade, il suffirait vraiment de peu de chose, une discussion honnête par exemple pour que tout change entre eux "Pourquoi est-ce que tu t'éloignes de moi? pourquoi est-ce que tu ne me parles plus ? Que fais-tu sans moi?"

Je retourne te lire...

Merci de l'écrire !

Chapitre 29 (Tiens, tiens: tu as abandonné l'idée de donner un titre à chacun de tes chapitres ?)

Hetep-Heres a écrit:

[...] il me semble de plus en plus apparent que l’on méjuge bien les gens de prime abord…

En effet, madame la baronne, en effet...

J'aime bien ce décalage qui se crée dans la narration, cette introspection alternée de dialogues. Ça nous montre que justement les apparences (ou ce que l'on dit dans ce cas-ci) sont bien différentes de ce qui est véritablement pensé. Les propos sont empesés, farcis de politesse et de monsieur/madame, mais on voit bien qu'en fait, la baronne n'en a rien à faire de cette «poupée de porcelaine galonnée».

Citation :

[...] on avait là une lanterne magique, objet de divertissement qui faisait la joie de tout un chacun.

C’était donc à ce frivole amusement que cette petite baronne consacrait le plus clair de ses matinées ? Quelle futilité !

Il est vrai que cette «lanterne magique» peut sembler bien inutile pour un colonel. Ou même toute notion de divertissement, en fait... Ce qu'atteste d'ailleurs ce passage:

Citation :

Du moins était-ce ce qu’Oscar en avait entendu dire, n’ayant bien évidemment jamais elle-même assisté à ce genre de distraction dépravée.

On reconnaît bien là notre chère Oscar.

Citation :

– Affaires en lien avec les devoirs de votre charge, je présume, colonel ? interrogea la baronne. Bien sûr que oui, compléta-t-elle presque aussitôt, suis-je sotte, il n’est nulle raison personnelle, bien entendu, qui amènerait un gentilhomme à ne pouvoir divulguer son dessein… Je vous prie de me pardonner cette question bien inutile, il m’arrive parfois de parler plus vite que je ne réfléchis…

La baronne vient ici de piéger finement Oscar. Cette dernière, orgueilleuse comme elle est, n'avouera jamais le véritable motif de sa venue et, incidemment, risque d'avoir un peu plus de difficulté pour obtenir ses informations.

Citation :

Madame de Coulange était-elle réellement si naïve, ou alors était-elle au contraire tout bonnement en train de se payer sa tête

J'opterais pour la deuxième option   .

Citation :

N’est-ce qu’une impression de ma part ou bien cet homme a-t-il un peu trop insisté sur le "ensemble" de sa question ? Hmm, se pourrait-il que ce fût même… une once de jalousie ?

C'est fou ce qu'un simple mot peut déclencher. Voilà la baronne qui se met maintenant à regarder Oscar d'un nouvel œil, à penser qu'il pourrait être homosexuel. Néanmoins, bien que madame de Coulange se trompe sur le sexe de son interlocuteur (et honnêtement: qui aurait pensé qu'une femme se cachait sous cet uniforme de militaire ?), elle n'est pas bien loin de la vérité.

Citation :

L’amour…

Vers où donc penchaient les amours d’André Grandier ?

C'est une très bonne question à se poser, Oscar... Enfin, une petite éclaircie dans l'esprit bien embrumé de notre colonel !

Tu manies toujours ta plume avec autant de finesse, Hetep-Heres.   Je suis contente de retrouver cette ambiance fleurant bon le XVIIIe siècle ainsi que tes petits détails parsemés ici et là tout au long du récit. Je me répète concernant le personnage de la baronne, mais c'est vraiment une belle réussite. Elle est toute en nuances et non une de ces caricatures que l'on retrouve bien souvent dans certains écrits.

Il y a seulement une phrase avec laquelle j'ai éprouvé plus de difficulté (j'ai dû la relire deux ou trois fois):

Citation :

J’ose espérer que vous pardonnerez la nature curieuse de mon caractère, qui m’incite à m’enquérir de la raison qui peut bien motiver l’honneur que vous me faites de votre visite, à laquelle je suis redevable de la grâce de faire votre connaissance…

Peut-être qu'en la raccourcissant (ce n'est qu'une suggestion), elle deviendrait plus facile à comprendre ?